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même les plus hostiles : on nous dit bien que Philippe a eu parfois, en cachette, quelques aventures galantes avec des jeunes femmes de la suite de Marie : mais tout le monde s’accorde à ajouter que, « si sa femme avait été une fraîche beauté de vingt ans au lieu d’une vieille fille fanée de près de quarante, il n’aurait pas pu lui montrer plus d’égards, ni mieux réaliser, en apparence, l’idéal d’un mari parfait. » Il s’applique de son mieux à accomplir le vœu exprimé par lui à son cher Ruy Gomez, quelque temps après son mariage. « Je suis pleinement résigné à vider le calice jusqu’au fond ! » a-t-il dit ; et la reine s’enivre ingénument à ce calice qu’elle lui voit vider. Elle vit là des semaines d’une douceur si exquise, accompagnée d’un tel élan de reconnaissance, qu’à notre tour nous nous demandons s’il convient de remercier ou de haïr l’impassible Isaac qui les lui a valus.

Hélas ! à ce rêve trop court allait succéder un réveil affreux. Avant même le premier départ de Philippe, Marie, qui se croyait sur le point d’accoucher d’un fils, a eu l’horrible chagrin de devoir reconnaître que ce qu’elle prenait pour une grossesse n’était que le début d’une grave maladie. Le retentissement qu’a dû produire cette déception nouvelle, dans son cœur endolori, nous ne pouvons le concevoir que grâce aux textes publiés par M. Martin Hume. Tous les jours, pendant des mois, la cour et la ville avaient vécu dans l’attente d’un héritier du trône. De tous les coins du royaume, on amenait à Marie des enfans nouveau-nés, dont on lui affirmait que leurs mères étaient « aussi vieilles et aussi maigres » qu’elle. Le 30 avril, sur le faux bruit d’une délivrance, les mille cloches des églises de Londres avaient sonné, des processions avaient parcouru la ville avec des chants d’actions de grâces, et, à la lumière des feux de joie, des tables avaient été dressées, devant les maisons, où chacun avait pu manger et boire librement. Mais le plus terrible est que, suivant toute apparence, Philippe s’est mis depuis lors à haïr sa femme, enragé de ce faux espoir qu’il avait contribué à entretenir. Non seulement il s’est empressé de quitter Marie, malgré les humbles et pressantes supplications de l’abandonnée : aussitôt arrivé à Bruxelles, il a voulu s’afficher avec des maîtresses, répétant de tous côtés que, « puisqu’il avait eu le bonheur de pouvoir s’enfuir d’Angleterre, on ne le reprendrait pas à y retourner. » En vain Marie, pour l’attirer, achevait de compromettre sa popularité, et s’exposait de jour en jour au danger de perdre sa couronne ; en vain elle lui jurait que, cette fois, elle était sûre d’obtenir du ciel le miracle d’une grossesse : avec son obstination coutumière il restait sourd à