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conjecturer, de notre mieux, le caractère et le rôle de toute sorte de princes, diplomates, prélats, conspirateurs enthousiastes et ténébreux espions, que nous aurions aimé que l’historien nous aidât à connaître. Et de cet énorme réseau d’intrigues opposées une impression se dégage où domine un certain dégoût, tout au plus mêlé d’une indulgente pitié. Nous sentons qu’il n’y a pas un de ces personnages qui, même avec les intentions les plus loyales, ne passe sa vie à mentir misérablement : depuis la reine Elisabeth, qui se manifeste à nous comme une incarnation presque surnaturelle de l’hypocrisie, jusqu’à ces vénérables martyrs catholiques, les Campion et les Babington, que les nécessités de leur mission condamnent sans cesse à intriguer et à dissimuler. Toute la seconde partie du livre, surtout, concernant les rapports de Philippe II avec Elisabeth, est remplie d’un tel encombrement de ruses se répondant l’une à l’autre, de vilains complots catholiques infailliblement annulés par de vilaines délations protestantes, que je doute que l’historien même le plus « romanesque » réussisse jamais à nous rendre intéressante cette période, d’ailleurs infiniment fructueuse et glorieuse, de l’histoire d’Angleterre. Seules, quelques figures de princes ou de gentilshommes espagnols, à peine esquissées en passant par M. Hume, nous laissent deviner une beauté d’âme que relève encore leur contraste avec la bassesse et la perversité de leur entourage : par exemple, l’intrépide et généreux don Juan d’Autriche, l’héroïque vieillard Santa Cruz, et, tout de même, ce grand calomnié de l’histoire et de la légende qu’a été le duc d’Albe. Mais, au contraire, le récit des rapports de Philippe II avec Marie Tudor, si M. Hume avait pris la peine d’en reconstituer la réalité essentielle, aurait eu de quoi nous émouvoir à l’égal d’un véritable roman, — étant tout semé de détails infiniment savoureux dans leur variété pittoresque, tandis que les âmes des deux acteurs principaux s’y découvrent à nous animées de passions les plus humaines du monde et les plus touchantes : l’une et l’autre également loyales et cependant dépourvues de toute grandeur comme de tout attrait, et faites en vérité pour se comprendre et s’unir, mais sans que l’analogie de leurs deux natures ait pu jamais prévaloir contre la fatalité de souffrance qui pesait sur elles.


Suivant une habitude qui lui est familière, et qui du reste ne peut manquer de devenir bientôt une règle absolue pour tout historien, M. Hume a joint au texte de son livre les portraits des personnages principaux qu’il y met en scène. Deux portraits de datées très