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l’Empereur, il enjoignit au commissaire général de police à Bordeaux, de la faire repartir immédiatement pour les Etats-Unis. Elle était alitée quand cette réponse lui fut communiquée. Elle protesta, supplia, allégua l’état de sa santé, de celle de sa fille. Mais tout fut vain, et le commissaire général lui signifia d’avoir à prendre place sur le Wilhem-Guster qui allait mettre à la voile pour New-York.

Elle déclara alors que pour la contraindre à s’embarquer, il faudrait l’arracher de son lit. Autour d’elle, le caractère impitoyable des ordres de Rovigo avait indigné tout le monde, et jusqu’au commissaire de la Marine. Pour faire surseoir à leur exécution, il fallut l’intervention du consul américain et celle des médecins. Mais Mme Moreau dut s’engager par écrit à partir aussitôt qu’il lui serait possible de se mettre en route ; son frère promettait d’aller l’embarquer à La Rochelle, d’où un autre navire, l’Erit, devait partir à quelques jours de là.

En prenant cet engagement, elle était résolue à ne pas le tenir. Elle ne voulait pas retourner si vite en Amérique et puisqu’on lui fermait la France, elle irait à Londres. Mais il fallait tromper la police et, à cet effet, elle profitait du départ du Wilhem-Guster pour écrire à son mari une lettre qu’elle supposait devoir être lue par les agens impériaux et lui annoncer qu’on l’obligeait à partir par l’Erit. De nouveaux ordres de Rovigo précipitèrent le dénouement, non celui qu’il poursuivait, mais celui que Mme Moreau avait en vue. Un soir, son coiffeur, en entrant chez elle, à l’Hôtel de France, où elle était descendue, la prévint qu’elle allait être arrêtée et mise de vive force en voiture ; la maison était déjà cernée par la police. Dans ce péril, avec une énergie peu commune, elle joua un va-tout. Elle se sauva, en passant par la fenêtre et en emmenant sa fille. Sa chambre était vide quand les agens l’envahiront et ils ne purent retrouver la fugitive. Les détails manquent sur les suites de ce coup d’audace. Nous savons seulement que le succès le couronna, puisque, au commencement d’août, Mme Moreau était à Londres où elle allait résider jusqu’en 1814.

Au moment où elle se dérobait ainsi aux violences de Rovigo, le gouvernement lisait dans une lettre de New-York, qu’il venait de saisir, que Moreau s’était embarqué pour l’Europe au mois de juin. Il devait donc y être arrivé et on supposait que sa femme était allée le rejoindre à Londres. Les agens secrets que