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rendre odieuse une contrée dont elle n’aimait ni les habitans, ni les mœurs ; ce n’était pour elle qu’une terre d’exil, autant dire une prison où elle avait appris la mort de sa mère et vu mourir son fils. Elle avait hâte d’en sortir, ou tout au moins d’aller se retremper dans son pays et d’y renouveler ses forces épuisées. Les médecins consultés déclarèrent qu’il ne se pouvait pour elle de remède plus efficace. Son départ fut donc décidé, sans objection de la part de son mari qui, malgré tout, se leurrait peut-être de l’espoir de retourner en France, si elle était autorisée à y résider.

Une lettre en date du 27 mai, adressée au gouvernement français, par son représentant à Washington, Serrurier, qui, l’année précédente, avait succédé à Turreau, nous apprend que le général s’est présenté à la Légation. N’ayant osé lui fermer sa porte, Serrurier, dans sa lettre, se fait un mérite d’avoir donné l’ordre à ses gens de répondre au visiteur, s’il revenait, que « monsieur le ministre n’y est pas. » Dans l’entretien qu’il a eu avec lui, il a deviné que Moreau voulait « tâter le terrain, » à l’effet d’obtenir un passeport pour sa femme obligée d’aller prendre les eaux de Barèges. En passant, « il a parlé de ses campagnes sur le Rhin » et aussi de la bataille de Wagram, « comme il convenait dans une maison où tout rappelle le souverain qui y a vaincu. » Ce dont l’obséquieux diplomate est moins satisfait, c’est que, durant son court séjour à Washington, Moreau a dîné chez James Monroë, secrétaire d’Etat des A flaires étrangères[1].

Le passeport qu’il demandait, le 13 juin, pour sa femme, ne pouvait guère lui être refusé et lui fut délivré par le Consul de France à New-York. « Il a obtenu du gouvernement des Etats-Unis, malgré l’embargo général, écrivait encore Serrurier, de faire partir en lest un vaisseau, le Pawhattan, capitaine Williams, 17 hommes d’équipage. » Le 20 juin, Moreau annonçait à ses frères le départ de sa femme. « Sa santé la force à quitter ce pays, au moins pour quelque temps. Sûrement, elle fera en France quelque séjour. J’espère que mes lettres passeront l’Atlantique. Mais, après leur arrivée en France, pourront-elles aller jusqu’à vous ? »

Quelques semaines plus tard, Mme Moreau débarquait à

  1. En 1817, Monroë remplaça Madison à la Présidence.