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Muni de ces instructions, Pahlen partit pour Londres au commencement d’octobre. Il y était depuis un mois à peine et prêt à s’embarquer, lorsque la défaite essuyée à Austerlitz par l’armée austro-russe vint modifier, en ce qui touchait Moreau, les projets du Tsar. Il fallait, avant tout, se remettre de ce sanglant échec et, pour en assurer l’éclatante revanche, entraîner la Prusse dans la coalition. En attendant que ce résultat fût obtenu, Pahlen dut rester en Angleterre et y attendre de nouveaux avis, il y était encore un an après, tandis que la Prusse, cédant aux pressantes sollicitations des alliés, se décidait à embrasser leur cause et à marcher contre Napoléon.

L’heure était solennelle et le monde attendait avec anxiété la rencontre armée qui allait mettre aux prises les Français et les Prussiens. A cette date, de Madrid, l’ambassadeur Strogonoff rappelait à son gouvernement ce qui s’était passé l’année précédente au sujet de Moreau. Dans une dépêche adressée au baron de Budberg qui avait remplacé Czartorisky comme ministre, il l’invitait à recourir au général et, manquant lui-même de moyens pour communiquer avec celui-ci, il suggérait l’idée de recourir aux bons offices de l’Angleterre. Elle était alors en rapports amicaux avec les États-Unis ; elle y était représentée par des agens diplomatiques et, si l’on suivait cette voie, « le succès serait plus prononcé et plus assuré. »

Il n’y a pas lieu de s’attarder à la question de savoir si cette ouverture aurait eu les suites qu’eu espérait Strogonoff. Sa dépêche est datée du 5 octobre 1806, et c’est le lendemain que Napoléon remportait sur les Prussiens à Iéna l’une de ses plus décisives victoires. La nouvelle en arriva à Saint-Pétersbourg presque en même temps que l’envoi de Strogonoff et les résolutions définitives relatives à Moreau furent encore ajournées.

On n’y revint qu’au mois de mars 1807, quelques semaines après la bataille d’Eylau, où les Russes avaient été si près de vaincre que leur souverain, convaincu qu’un effort persévérant arrêterait la fortune de Napoléon, se préparait à de nouveaux combats. Immobilisé à Londres depuis deux ans, Pahlen reçut enfin l’ordre de donner suite à sa mission[1]. On lui envoyait un double des instructions qui lui avaient été remises

  1. D’Alopéus, qui avait remplacé Woronzoff à l’ambassade de Londres, fut chargé de remettre cet ordre à Pahlen et, en même temps, de lui compter deux mille ducats pour ses frais de voyage.