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été caressée par plusieurs des puissances qu’effrayait l’ambition du nouveau maître de la France. Une dépêche ultérieure du baron Grégoire Strogonoff, ambassadeur russe à Madrid, envoyée par lui à sa cour, permet de supposer que Moreau, pendant le séjour d’une année qu’il fit en Espagne, fut l’objet des sollicitations du premier ministre de ce pays, Godoï, prince de la Paix, sinon pour le présent, du moins pour l’avenir.

« Dans le courant des dernières conférences que j’aie eues avec le prince de la Paix, écrivait Strogonoff, le 5 octobre 1806, il me dit qu’il était étonné que les puissances coalisées n’eussent pas pensé, lors de la dernière guerre, à confier à Moreau le commandement d’une armée contre la France et me confia, sous le plus grand secret, les vues qu’il avait sur ce général, à l’époque où l’Espagne devra agir. Il m’apprit, en même temps, qu’il entretenait avec lui une correspondance suivie et que, ce même jour, il venait d’en recevoir une lettre qui manifestait bien clairement le désir que le général conservait d’épouser la cause d’une puissance assez prépondérante pour l’employer avec succès et le garantir de la persécution de Bonaparte. »

De ce passage de la dépêche de Strogonoff, il résulte que le gouvernement espagnol avait déjà dû faire des propositions à Moreau, dont la correspondance confidentielle, que Godoï prétendait entretenir avec lui, était la suite. Il est vrai que son affirmation ne laisse pas de paraître invraisemblable quand on la rapproche d’une déclaration rédigée par le général pour l’empereur de Russie, au mois de juin 1807, qu’on lira plus loin et dans laquelle, en déclinant les offres positives qui lui sont faites au nom du Tsar, il exprime des sentimens tout contraires à ceux que lui prête Godoï. Il faut aussi se rappeler que le Prince de la Paix est coutumier de mensonges diplomatiques ; ce n’est pas le calomnier de supposer que, pour convaincre l’ambassadeur russe de l’utilité qu’il y aurait à employer Moreau, il a imaginé de toutes pièces cette fable d’une lettre, que, d’ailleurs, il ne communique pas et qui lui aurait apporté le même jour la preuve que les dispositions du général étaient conformes aux vues des alliés.

Au surplus, quelle que soit la vérité sur ce point, il est tout au moins démontré que l’Espagne a songé à utiliser les services de Moreau. Le bruit qui court au même moment que le général a accepté les offres de l’Autriche et qu’il vient d’arriver à