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subtile qu’à force de monter dans l’air pur on le perd parfois de vue ; il est toujours dirigé vers les hauteurs et n’a presque point d’appui sur la terre. L’idéalisme américain jaillit de la vie terrestre, il ne l’oublie jamais et mêle sa substance à la sienne. Cet arbre, d’une belle essence dans tous les pays, croît en hauteur comme un bouleau en Angleterre ; en Amérique, il est comme un cèdre robuste et vaste. La vitalité de l’idéalisme américain se révèle à plusieurs caractères qu’on peut retrouver dans les écrivains américains que nous avons cités, et dans l’œuvre particulièrement de M. Henry van Dyke. C’est d’abord un caractère moral de confiance, de force consciente et affirmée, de possession de l’avenir, sur lequel il est inutile d’insister, et qui s’explique aisément. L’Américain n’a point aux épaules le lourd passé glorieux et las des races anciennes, le passé qui se souvient d’avoir accompli tout ce que nous entreprenons. L’univers et l’activité humaine lui semblent choses neuves, et ses réserves d’orgueil sont dans l’avenir. De plus, si l’idéalisme américain est plus vivant que l’idéalisme anglais, moins abstrait, c’est qu’il est plus capable de mobilité. L’Américain a cette faculté infiniment précieuse de pouvoir se juger lui-même. Certes il ne manque pas de parti pris, mais enfin il se voit. L’Anglais n’a jamais pu se regarder. Si l’étude de l’humour n’était interdite à des réflexions qui n’ont pour base que la poésie, il serait facile de montrer le chemin considérable qu’a franchi cette faculté si anglaise en passant par les cerveaux américains : il s’est tellement transformé qu’il en arrive parfois, non à ressembler à l’esprit français, mais à en avoir la souplesse et la bonne humeur ; il faut convenir que ce point d’arrivée est loin du point de départ. Enfin, la grande modificatrice de l’idéalisme américain, sa grande cause d’épanouissement, c’est la nature. La différence dont se présentent, en Angleterre et en Amérique, le ciel, la mer, les rivières et les bois suffit à expliquer la différence du génie de leurs races de poètes, car on sait combien les lignes d’une terre modèlent une âme attentive. L’Américain connaît une nature libre, immense, dominatrice de l’homme, avec laquelle l’Anglais n’est pas familier, et qui élargit la vision de son âme, l’amplifie, ouvre son horizon intérieur, et lui communique sa béatitude. Car la vision de la nature qu’a le poète américain qui ne la déforme pas, est une impression