Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 48.djvu/400

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

labeur d’écriture qui n’était pas historique fut religieux ; et dans la période même dont nous parlons, trois des écrivains parmi les plus grands furent hantés du problème moral : Emerson, qui y consacra sa vie ; Hawthorne, qui plongea ses regards dans le domaine de la conscience, et dans le mystère de l’expiation pour les péchés des ancêtres ; et Thoreau lui-même, l’ermite des bois, qui, au premier abord, semble plus affranchi de cette obsession. Tous ont eu constamment présente à l’esprit, en regardant la vie, la pensée de l’âme humaine.

Il n’est pas possible encore, au moment présent, de dégager de la littérature américaine les traits de l’idéalisme de ce pays. Les hommes qui le représentèrent sont absolument différens les uns des autres, en cette contrée où plus qu’en aucune autre peut-être la littérature est individualiste. Sans parler des écrivains absolument originaux et ne relevant d’aucune tradition, comme Edgar Poe et Walt Whitman, sans parler de la foule confuse des écrivains des deux sexes qui tiennent la plume avec succès aujourd’hui aux Etats-Unis, et parmi lesquels les idéalistes se font rares, les trois écrivains qui viennent d’être nommés n’ont guère de tendance commune que celle qu’on peut appeler la recherche du problème moral : autant que leurs talens et la nature de leurs œuvres, les fondemens de cette recherche sont dissemblables en eux. Et, par exemple, pour ne citer que l’un des facteurs parmi ceux qui sont les plus importans dans la formation d’un idéal, ce problème moral ne s’appuie que chez Emerson sur la croyance religieuse. Hawthorne et Thoreau ne sont pas chrétiens, ou plutôt ils le sont à leur insu, par la formation de leur nature que le puritanisme de leurs ancêtres a pétrie.

Pour avoir une idée de l’idéalisme américain, d’un idéalisme général et constant, il faut donc attendre que d’autres écrivains s’ajoutent à ceux-ci ; et il faut surtout attendre l’aboutissement de la période actuelle qui est grosse d’évolution, et qui peut modifier beaucoup, non seulement l’idéalisme littéraire que nous étudions, mais l’idéal lui-même des Etats-Unis, l’idéal de Washington, de Lincoln et de Franklin.

Cependant, si une tendance générale de l’esprit américain ne peut encore se définir, on peut voir dès maintenant qu’il se distingue nettement de l’esprit anglais. En termes un peu brutaux, l’idéalisme des Etats-Unis « se porte mieux » que l’idéalisme