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élégantes des rimes qui résonnent, éclatantes comme des couleurs ou sourdes comme des ombres, sont de jolis jeux pour nos contemporains : jeux qui ne sont pas sans danger, puisque quelques-uns de ceux qui s’y plaisent en oublient parfois de meubler d’un corps ce fastueux vêtement. L’absence de cette habileté vient-elle d’une négligence de travailleur chez M. van Dyke, ou de la prédominance d’une préoccupation autre et supérieure ? Si elle a des causes involontaires et qu’elle soit l’indice d’un raffinement insuffisant de la délicatesse artistique, lui est-elle personnelle, ou bien est-elle un trait constant des poètes de sa race ? Nous retrouverons peut-être la réponse à ces diverses questions en replaçant M. van Dyke dans son cadre parmi les poètes d’Amérique. Ici il ne souffre pas de la comparaison ; et je ne vois pas pourquoi, si l’avenir augmente et perfectionne son œuvre poétique, il ne prendrait pas rang à côté des meilleurs poètes des Etats-Unis, dans la lignée classique dont Walt Whitman est le génial contraste.

L’histoire de la poésie en Amérique est moins brillante que celle de la littérature, et le grand poète d’outre-mer que Keats rêvait déjà en 1818 n’est pas encore né, — disons, pour ne décourager aucune ambition juvénile, qu’il n’est pas encore mort.

Depuis le temps de Keats, la littérature américaine s’est révélée par quelques hommes de grande valeur, mais la liste des poètes qu’une anthologie un peu sévère devrait seule retenir tient en quelques noms ; encore représentent-ils des hommes dont beaucoup écrivirent mieux en prose qu’en vers : le vieux William Cullen Bryant, Emerson, Longfellow, Edgar Poe, Whittier, Lowell, Sidney Lanier et Walt Whitman. Pour le souci de la vérité ethnique, il faut mettre à part les deux « poètes du Sud, » Poe et Lanier qui tous deux surent plus que les autres comment la poésie peut être une magicienne ; le premier, parfois admirable, mais inégal, et limité au champ d’inspiration que domine la mort troublante : le second aussi peu « américain » que possible au sens restreint de ce mot, chanteur mélancolique et subtil, harmonieux toujours, mièvre parfois : l’un et l’autre eurent plus de grâce, plus d’expansion que les poètes de l’Est américain, dont la race est celle de M. van Dyke, et dont nous voulons surtout parler. Dans l’ensemble, tous les poètes qui l’ont précédé plus ou moins glorieusement, ont eu, quel que soit leur talent, les mêmes défauts poétiques que lui. Et voilà qui