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la pensée dans un cercle précis que nulle force ne réussira à briser[1]. » Mais à l’analyse de cet effort, le pouvoir de la parole écrite s’arrête : les lois de son succès lui demeurent cachées. Que sait-elle de la concordance plus ou moins heureuse des sons, de cette puissance de la rime, écho proche ou lointain, sorte d’accord aux tonalités innombrables que d’autres accords séparent et enrichissent ? Comment pourrait-elle exprimer la puissance de ce principal élément de beauté qu’est le rythme : cette division du temps, ce partage de la durée, qui exprime par son mouvement, qui exprime par ses arrêts, qui fait que la poésie est sœur de la musique, et comme elle « un dialogue avec le silence inépuisable[2]. » Cela est d’un domaine réservé où les mots n’entrent guère. Et s’il est difficile de dire par quels moyens toute poésie arrive à être belle, la tâche devient plus malaisée encore quand il s’agit de poésie étrangère. La langue et la prosodie anglaise ont des richesses et des exigences presque opposées à celles du français. La poésie anglaise est aérienne à côté de la nôtre. L’infinie diversité des expressions, leur malléabilité, la souplesse de construction de la phrase, la surprenante faculté de raccourci en font un merveilleux instrument de poésie. Le rythme des vers anglais aussi est poétique inexprimablement. Les « accens » qui en marquent la cadence entre les syllabes sourdes, comme des triglyphes où vient s’accrocher une guirlande, soutiennent la ligne souple du vers et le balancent en des oscillations plus ou moins amples : iambes aux fluctuations courtes comme des vagues de fleuve, anapestes qui, isolés dans un vers d’un autre mètre, en hâtent la course, ou bien qui, se suivant dans le vers démesurément allongé, produisent tantôt un effet de grâce alanguissante, et tantôt une impression de vigueur telle qu’on songe à des bondissemens de bête poursuivie.

Comment M. van Dyke s’est-il servi de toutes ces richesses ? Dans leur traversée de l’Océan, les souffles chargés de germes que lui envoyaient les beaux génies anglais sont parvenus affaiblis ; et ! e disciple de Shelley et de Keats, de Browning, de Wordsworth et de Tennyson n’a pas recueilli tout leur héritage. Pourtant, — je crois l’avoir montré, — ses dons poétiques sont riches et rares, mais la forme ne les égale pas. Dans tous

  1. Cité par M. E.-M. de Vogué dans Histoire et Poésie (la Renaissance latine).
  2. P. Claudel.