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les choses essentielles sont dites, le « grand Empire du Silence » dont parlait Carlyle. Beaucoup d’exemples pourraient en être cités ; je choisirai parmi eux deux groupes de vers qui tous deux se trouvent dans le poème intitulé : « Paix. » Le poète place une des deux retraites de la Paix sur la terre, au sommet inaccessible des montagnes.


Demeure élevée dans la solitude de la lumière — au-delà du monde des ombres — demeure lointaine, belle et claire — où l’avènement de la nuit n’est que la proximité plus radieuse des étoiles ; — Où l’aube est libre, et sans contrainte jaillit par-dessus les barrières — Qui gardent longtemps les terres basses dans l’ombre indécise…


Et plus loin, il compare nos luttes humaines, vues de cette demeure presque céleste,


Aux rides que l’orage creuse en rampant sur la mer — Et qui ne laissent nulle trace de trouble — Sur son visage sans mémoire.


Enfin, une part plus ou moins large du véritable sens poétique doit être conférée à un homme pour qu’il soit poète. Tous les rimeurs n’ont pas ce sens, mais c’est par lui que se distingue de l’écrivain, si génialement doué d’imagination et de sensibilité qu’on le suppose, l’homme qui a reçu le don, — on pourrait presque dire l’ordre, — d’exprimer sa pensée en vers. Ce sens poétique est en effet aussi distinct du don littéraire que peut l’être le sens musical, car l’idée qui doit être exprimée par la langue chantée n’existe pas à l’état de pensée pure dans le cerveau qui la crée ; elle est inséparable d’une forme sensible, et emprunte pour naître deux élémens qui sont déjà du domaine de l’art et non plus seulement du domaine de l’esprit : le rythme et la sonorité. Le sens poétique exige donc des facultés spéciales, de nature infiniment délicate et mystérieuse. Parmi les caractères les plus apparens auxquels on peut le reconnaître est une sorte d’instinct sûr qui guide l’esprit dans le choix des objets de la poésie. Il y a dans le champ immense des choses qui attendent d’être exprimées, certaines idées, images et sensations, qui ne sauraient éclore et jaillir de la nuit sans porter avec elles leur cadence, comme d’autres portent leur harmonie ou leur couleur. Les vrais poètes sentent ces affinités. Pour montrer que M. van Dyke en a le sens très juste, il suffit de suivre la « donnée » d’un de ses poèmes. Tout y est objet de poésie,