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écluses ? Et par ailleurs, si la technique a perdu à n’être pas longuement étudiée et mûrie, si même une partie des ardeurs et des beaux gestes d’une âme jeune ont été dépensés en pure perte, sans que rien n’en fixât la chaleur et le mouvement, ce qu’il en reste n’est-il pas le plus pur et le meilleur ? Il reste ce qui est vrai, ce que la vie en passant n’a pas réduit en ruines, ce quelque peu d’éternel qui est l’essence même de l’art. Aussi, nous trouverons dans les vers de M. van Dyke, non pas peut-être un essor gigantesque ou un opulent lyrisme, mais l’expression d’une longue et joyeuse méditation du monde ; une grande délicatesse de sensation ; une compréhension profonde, intime, intuitive, des secrets de la nature et des secrets de l’âme humaine qui toutes deux se livrent lentement et ne sont vaincues que par un patient amour.

Tout ce qui est poésie dans l’œuvre de Henry van Dyke vit par trois facultés qui sont les élémens essentiels d’un tempérament de poète, et dont il importe par conséquent de rechercher les indices. C’est tout d’abord la faculté de sentir intensément la beauté de la terre, et de sentir cette beauté dans ses manifestations les plus simples. Nous avons tous un sentiment plus ou moins profond de ce qu’on appelle « les grands spectacles de la nature, » et nous n’y sommes pas indifférens, surtout si l’on a pris la précaution d’éveiller notre admiration engourdie ; mais combien ignorent les visages changeans de leur paysage familier ! Les poètes, eux, ont toujours une porte ouverte au plus léger passage de la beauté ; qu’ils soient écrivains ou artistes, philosophes ou simples rêveurs, ils savent, comme l’a si admirablement dit Keats, que la poésie de la terre ne meurt jamais ; ils possèdent l’éternelle jeunesse du regard, la docilité à l’enchantement des heures diverses, et leur sens de vue se prolonge en un sens de vision. Pour eux, la beauté prodigue du monde se dévoile plus riche que pour les autres hommes, et la mesure de sa libéralité envers eux est la mesure même de leur génie poétique. Ils connaissent les trésors de sa grâce comme on connaît le charme d’un être aimé dont un simple geste éveille dans le secret du cœur tout un monde d’harmonies ; et leur sensibilité frémit de cette constante vibration qu’un de nos poètes contemporains exprimait en disant :


Mon âme est une lyre aux sept cordes tendues.