Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 48.djvu/377

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

reçu le don de la poésie soit absorbée, de son libre consentement, non seulement par une série d’occupations matérielles, mais aussi par une direction générale de l’activité, dans un domaine très éloigné de la poésie. M. van Dyke dut faire des vers toute sa vie, mais des vers hâtifs, vite enfermés et oubliés, des vers qui étaient seulement l’épanchement des heures trop lourdes de poésie, et non pas ces objets d’amour et de culte où la pensée se resserre et s’amplifie sous les retouches successives, et dont le travail rend plus riche l’éclosion des germes nouveaux. La poésie demande l’orientation perpétuelle de l’esprit, les heures prodiguement dépensées, et, pendant vingt ans, M. van Dyke n’eut à lui consacrer que des intervalles de temps ; si, pendant ces intervalles, il trouva le moyen décrire, outre des études de philosophie religieuse, un livre de critique sur Tennyson, et quelques amusans croquis de pêches et de campemens, il amassa surtout des matériaux pour sa vie littéraire à laquelle il ne s’est réellement adonné que depuis dix ans[1].

La vocation littéraire de Henry van Dyke résista à cette épreuve qui aurait probablement tari une source moins robuste ; mais dans quelle mesure son talent en souffrit-il ? Au point de vue technique, il en souffrit probablement. Mais au point de vue de l’inspiration, il me semble que ses dons poétiques en furent plutôt transformés qu’amoindris.

En effet, ses émotions poétiques s’accumulaient en lui, source vivante alimentée par une forte vie intérieure et par des contacts avec la nature, des journées de solitude dans la forêt fraîche, de longues nuits d’été en plein paysage, qui n’interrompaient point la rêverie de la journée mais en prolongeaient le charme. La soumission à la volonté d’une force aussi impétueuse et impérieuse qu’est la poésie ainsi renouvelée ne crée-t-elle pas une réserve pour le jour où s’ouvriront les vannes des

  1. Au cours de ces dernières années, voici les meilleures œuvres de M. van Dyke :
    Trois livres d’esquisses : Little Rivers (rivières du Canada, de l’Ecosse et du Tyrol), Lisherman’s Fuck et Days Off, récemment paru. Deux livres de longues nouvelles, l’un de vie observée : The ruling Passion (traduit en français sous le titre de l’une des nouvelles : la Gardienne de la Lumière, Calmann Lévy, 1906) et l’autre de contes mystiques, The Blue Flower (des fragmens en ont été traduits en français et publiés chez Fischbacher en 1903) ; enfin trois livres de poésies : The Builders and other Poems, 1897 ; The Toiling of Felix and other Poems, 1900 : et en 1904, Music. (Toutes les œuvres de M. van Dyke sont éditées par Scribner’s Sons, New York.)