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nouvelle édition de mes Contes, le libraire m’en doit cent exemplaires. Je vous les donne, vous les ferez vendre pour les pauvres. » Cent exemplaires de cadeau, c’était un droit d’auteur normal.

Le tribut levé directement sur le public était sans conséquence, comparé aux allocations de l’Etat ou des grands, et ces allocations ne se proportionnaient guère au rang que la postérité devait assigner aux bénéficiaires : Benserade avait 10 400 francs, tout autant que La Bruyère, et Corneille n’alla jamais à 7 000 francs.

L’exemple de Corneille est typique ; peu à l’aise de son chef, ayant six enfans à élever, il prétendit vivre de sa plume. Cela lui fut tout à fait impossible, et sa prétention fit scandale. Le ménage Pierre Corneille possédait vers 1650 une quarantaine d’hectares de biens-fonds, pouvant rapporter 11 à 1 200 francs, une maison à Rouen, une autre aux Andelys et quelque 60 000 francs d’argent qui, placé à 7 pour 100, — taux ordinaire des rentes constituées sous Mazarin, — lui procurait un revenu de 4 200 francs. A sa mort, en 1684, le grand Corneille se trouvait avoir mangé peu à peu son capital mobilier pour établir ses enfans ; il venait même de vendre sa maison de Rouen pour payer la dot au couvent d’une de ses filles. Loin d’avoir jamais fait de folies, il passait pour serré et on lui reprochait d’être cupide.

Que lui avaient donc valu ses œuvres ? « Monsieur Corneille nous a fait grand tort, disait Mlle Beaupré, actrice du Marais, vers 1645 ; nous avions ci-devant pour trois écus, — 40 francs, — des pièces de théâtre que l’on nous faisait en une nuit. Le public y était accoutumé et nous gagnions beaucoup. Présentement les pièces de M. Corneille nous coûtent bien de l’argent et nous gagnons peu de chose. » Bien de l’argent, sous la plume de Mlle Beaupré, cela voulait dire un millier de francs ; mais en voulant se faire payer ses tragédies, Corneille choqua tout le monde. Un sieur Gaillard disait :


Corneille est excellent, mais il vend ses ouvrages ;


un autre lui reproche de marchander ses denrées poétiques. Chapelain écrivait à Balzac : « Vous ne verrez pas le Combat des Horaces publié avant six mois. Il faut qu’il serve six mois de