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Quel moyen un homme d’Etat à qui l’on dit : « N’étant redevable de vos grandeurs qu’à votre seule vertu, si vous avez quelque bien de la fortune, ce sont des tributs que vous recevez d’elle, comme les princes en lèvent sur leurs peuples…, » quel moyen aurait-il de ne pas payer le « tribut » que l’on attend de lui en retour ? Tel Richelieu terminant son billet de remerciement à une dédicace de Malherbe : « Pour vous donner lieu de passer le temps commodément, j’écris de bonne encre à M. le Surintendant de vous porter sur l’état des pensions. »

Les gens de lettres plaisantaient volontiers leur protocole de louanges tarifées ; Furetière, qui demande si la rétribution des dédicaces est « de droit naturel, de droit des gens ou de droit civil, » nous confie que les Mécènes ignorans sont les plus précieux et que les meilleurs se trouvent en Flandre et en Allemagne comme les meilleurs melons en Touraine.

Ceux qui disposaient des fonds de l’Etat n’oubliaient pas leurs intérêts personnels ; ils favorisaient dans la distribution les auteurs dont la plume leur semblait utile à ménager : si Mézerai était payé plus ponctuellement que d’autres de ses 13 000 francs de pension sur le sceau, c’est, au dire des contemporains, que le chancelier Séguier craignait « qu’il ne parlât pas bien de lui dans son histoire. » Un pareil souci de l’opinion, — ce qu’aujourd’hui nous nommons « une bonne presse, » — guidait Fouquet dans des largesses d’autant moins onéreuses pour lui qu’il les puisait à même le Trésor : les 3 250 francs de pension à La Fontaine ont plus fait pour la mémoire du surintendant, grâce à la reconnaissance du fabuliste, que tous les factums de ses avocats.

Quelle que fût leur source, les pensions constituaient un revenu assez précaire, celles du Roi tout autant que les autres, soit que le monarque les rayât d’un trait de plume, comme fit Louis XIII à la mort de Richelieu, en disant : « Nous n’avons plus affaire de cela ; » soit que, tout en subsistant en principe, elles cessassent en fait d’être payées « parce que les fonds avaient été divertis, » — les fonds étaient souvent divertis sous l’ancien régime, — en temps de guerre ou d’embarras financiers. Sous Louis XIV elles s’élevèrent en bloc au maximum à la somme relativement modeste de 375 000 francs et ne dépassèrent pas en moyenne 250 000.

Aux pensions s’ajoutaient des aubaines de diverse nature : il