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dignité de l’attitude, aux yeux de nos pères, elle n’était pas moindre à flagorner le prince, qu’à nos yeux à flagorner le peuple. L’encens a changé simplement d’adresse. Si ce hardi frondeur de Régnier avait été homme rangé, comme tels auteurs illustres de son temps et du nôtre, il eût eu facilement du quoi vivre avec le système d’honoraires usité sous Henri IV ; tandis qu’un peu trop enclin à la crapule, il végéterait tout de même, avec nos droits d’auteur contemporains, dans la bohème lettrée.


III

Recevoir pensions ou présens, dédier son livre pour les obtenir et sa personne pour les conserver, était un commerce de bons procédés, honorable puisqu’on le jugeait tel et qui n’a cessé de l’être que lorsqu’on l’a jugé autrement. Ni l’un ni l’autre des deux contractans ne se faisait illusion, soit sur la sincérité de l’éloge, soit sur le désintéressement du bienfait : marché de vanité contre écus, où le flatteur ne vivait pas seulement, comme dans la fable, « aux dépens de celui qui l’écoute, » mais s’en faisait aussi un agent de réclame.

Pour l’écrivain, se pourvoir d’un protecteur de grande qualité qui fît valoir ses ouvrages, « jusque-là qu’on fût obligé d’en dire du bien malgré soi et pour faire sa cour, » dans toutes les ruelles, réduits et académies à la mode, c’était un moyen de se mettre en réputation. Notre siècle n’est pas moins fourni de petites tactiques qui vont au même but par d’autres voies ; elles ne suppléent pas le talent, mais le multiplient quand il existe et masquent un peu son absence quand il fait défaut.

« Cela nous sert dans le monde de mener de ces beaux esprits avec nous, » disait un ministre. Le grand personnage mettait de l’amour-propre à afficher l’académicien qui, disait-il, « était à lui, » parce qu’il l’appointait. L’homme de lettres, de son côté, écrivait le plus naturellement du monde : « Quand je n’aurais pas l’honneur d’être à vous, comme je l’ai, je ne sais personne en France à qui plus justement qu’à vous je puisse présenter les fruits de mon étude. » De pareilles épîtres se terminaient en général par quelque invite : « Votre magnificence ne refusera pas aux Muses ce que les grands hommes de tous les siècles leur ont accordé… »