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l’homme de lettres ne dépendait pas nécessairement, comme de nos jours, du genre de ses travaux.

Il advint par suite que les mêmes genres, aux diverses époques, ne furent pas également récompensés ; que le prix de l’homme qui vit de son talent varia grandement d’une date à l’autre, suivant que la nature de ses idées, matérialisées en volume, était poétique, philosophique, scientifique ou romanesque et dramatique. Et cette rétribution a varié, non seulement suivant la nature des idées, mais suivant la forme dans laquelle les mêmes idées étaient offertes au public : les unes débitées en feuilles d’imprimerie, les autres dialoguées sur le théâtre.

Le fait mérite d’être remarqué : ce par quoi les chefs-d’œuvre du théâtre vivent dans la mémoire des hommes, ce par quoi leurs auteurs demeurent victorieux du temps rongeur des choses, ce n’est pas du tout par le cadre scénique qu’ils ont donné à leurs fictions, mais par la puissance, l’originalité de leurs idées et le style dans lequel ils les ont su formuler. Ce n’est pas du tout par l’intrigue, la fabulation, la construction plus ou moins adroite et faite pour piquer la curiosité du spectateur ; c’est par le génie d’observation qui, dans un mot lapidaire, dans une tirade comique ou tragique, dépouille un peu davantage à nos yeux charmés l’écorce de notre âme, surprend et éclaire un nouvel aspect, un repli obscur de sentimens mille fois fouillés.

Qu’il s’agisse d’Œdipe ou d’Hamlet, de Tartufe, de Phèdre, ou de Figaro, toute pièce qui dure, cent ans ou dix siècles il n’importe, mais qui survit seulement à quelques générations, survit par ce qui en elle est le moins « théâtre, » par des idées qu’aurait pu exprimer dans les mêmes termes le romancier, le poète, le philosophe, aussi bien que le dramaturge. Et ces mêmes idées n’auraient pas moins frappé l’imagination et fait leur chemin dans le monde, imprimées par La Bruyère, Boileau ou Pascal, que mises en scène par Corneille ou par Molière. La postérité ne garde les pièces que pour les gouttes de substance rare et précieuse qu’elles contiennent ; le vase lui est indifférent.

Cependant, c’est le vase seul, l’enveloppe, le décor extérieur qui, chez les peuples assez riches pour payer du plaisir, fera le succès d’argent, parce que c’est lui seul qui fait le divertissement du plus grand nombre. Quant au divertisseur, maître en