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ce sera déclarer ce dont je suis résolu sans convention… » A la fin de cette annotation, l’Empereur donne libre cours à son sentiment d’irritation contre le gouvernement français et termine cette résolution par ces mots typiques : « Quel cochon que Thiers ! »

En octobre, Thiers donna sa démission. A la veille de sa chute, il eut des explications intéressantes avec le comte Pahlen et lui dit entre autres choses : « Nous n’avons rien contre vous ; nous avons été sur un point de bonne harmonie, mais pas alliés. Vous avez joué votre jeu avec persévérance, avec habileté. Vous avez réussi et nous ne nous plaignons pas de la Russie. Ainsi vous voyez que l’opinion se déclare particulièrement contre l’Angleterre. Je vous dis franchement ma pensée. Vous êtes trois puissances continentales, régies par ce qu’on appelle l’absolutisme, qui ressentez un éloignement et une répugnance pour notre révolution. L’Angleterre a profité de ces sentimens pour conclure la convention de Londres. »


IX

Après Thiers, le portefeuille de ministre des Affaires étrangères fut occupé par Guizot. Le roi Louis-Philippe fut le premier à se féliciter de ce changement et ne dissimula pas à l’ambassadeur de Russie sa joie d’avoir « enfin un ministère de la paix. » Il avoua en même temps qu’il approuvait lui-même les mesures d’armement, mais seulement comme mesures de précaution. « Je ne veux pas de casus belli, » dit-il au comte Pahlen, « point de solidarité avec Mehemet-Ali, avec lequel je n’ai ni alliance, ni traité. » Le Cabinet de Saint-Pétersbourg fut heureux de ce changement de ministère : il se livra à l’espoir que la France finirait par accepter le fait accompli. « La France, » écrivait le vice-chancelier dans son compte rendu à l’Empereur pour l’année 1840, « ne se dissimule pas que de nous sort la pensée qui l’a conduite à son isolement, et que nous sommes ainsi la cause de sa situation humiliante. Et pourtant, elle ne nous en veut pas mortellement. Elle a pour nous la considération involontaire qu’inspire un heureux adversaire. Mais nous sommes plutôt à ses yeux un adversaire qu’un ennemi. La Russie ne devait rien à la France ; elle ne lui avait rien promis ; en combattant la politique française, elle a suivi franchement la ligne