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seconde fois, — et restaurèrent les preuves philosophiques de Dieu. Mais sait-on où s’arrêtera le savoir ambitieux de la pensée ? sait-on où il ira d’abord ? Au Dieu de la raison, au Dieu de la nature, non pas au Dieu de Jésus-Christ. Un signe bien frappant de l’irrésistible progrès du raisonnement philosophique, au siècle même de la foi, c’est que Bossuet, ce « Père de l’Eglise, » se laisse aller à raisonner en pur philosophe, et, comparé à Pascal, nous fait presque l’effet d’un rationaliste. Il incline la théologie du côté où elle est le plus vraisemblable. Dans les panégyriques des saints, sinon dans la vie du Christ et des apôtres, il réduit le plus possible la part du surnaturel pour exalter surtout les vertus morales. Il n’a jamais cessé d’affirmer les postulats métaphysiques de la religion. C’est au dogme de la Providence qu’il s’attache surtout, et ce dogme n’est pas spécialement catholique ni même chrétien. Bref, il a défendu la religion de la manière la plus propre à satisfaire la raison[1].

Montaigne avait prévu, comme conséquence des guerres religieuses, un « exécrable athéisme. » C’est en effet la forme exécrable, parce qu’elle n’était qu’un dévergondage moral et intellectuel, que l’incrédulité prit au XVIIe siècle. Mais la religion de la raison existait dès lors, car elle est ancienne, et son développement fut considérable au siècle suivant. Les majorités sont conservatrices. La majorité des esprits cultivés au XVIIIe siècle, étant incrédule, sentait d’autant plus la convenance d’un spiritualisme honnête comme base nécessaire de l’édifice social, et conservait même très expressément la religion « pour le peuple. » Voltaire tenait beaucoup au Dieu « rémunérateur et vengeur. » Rousseau ne badine pas ; il punit de mort, comme coupable du plus grand des crimes, tout renégat de la religion qu’il institue dans son Contrat social. Robespierre, disciple de Rousseau, établit la fête de « l’Etre suprême » et envoie à la guillotine l’athée. Cependant Rousseau, dont les contradictions et les déclamations n’étaient point, comme la polémique des « philosophes, » une campagne contre le christianisme, se trouve lui avoir fait en somme plus de bien que de mal. Et le précieux service qu’il lui a rendu fut de ramener la religion au sentiment, — reconnaissez sous les grosses altérations de Rousseau l’esprit et la méthode même de Pascal, — comme à un principe

  1. Lanson, Revue des Cours et Conférences du 16 janvier 1908.