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IV

L’ébauche que Pascal a laissée demeure, malgré ses parties périssables, le monument le plus solide comme le plus beau de l’apologétique ; il efface tous les autres, et rien de considérable n’a été fait depuis, dans le même genre, qui ne relève de cette œuvre maîtresse. Mais si elle reste vivante, c’est parce que sa grande et principale pensée s’adapte et se plie aux changemens nécessaires de l’esprit humain ; c’est parce que nous apprenons en ce livre immortel comment on conserve l’âme du christianisme dans l’usure et le déchet de ses enveloppes, ou (pour me servir d’une image plus noble) la sève et la tige de l’arbre de vie, renouvelé par l’élagage même de toutes ses branches parasites. On mettrait en doute l’évidence si l’on contestait que Pascal, en voulant servir, en servant la religion chrétienne de tout son cœur et de toute son intelligence, n’avait pas rendu précisément service au catholicisme comme tel. Livrer à la risée et au mépris du monde une secte pernicieuse aux mœurs et à la foi, mais que Rome couvrait de sa protection ; inviter le public laïque à juger les théologiens de l’Eglise ; en appeler au tribunal de Jésus-Christ contre l’autorité qui condamnait les Provinciales : puis, dans les Pensées, confier au cœur, à la conscience, organes individuels, le discernement du vrai, la conduite de la vie : était-ce se montrer vraiment catholique ? N’était-ce pas mettre un pied, puis l’autre, hors du catholicisme et de l’Église ? Et tous les Jansénistes en étaient là. C’est pourquoi M. de Carné n’a pas mal défini la secte par ces mots : « un catholicisme sans soumission et un protestantisme sans courage. »

M. Lanson écrit, dans une vive antithèse, que « l’auteur des petites lettres, en s’efforçant de tuer les jésuites qu’il abhorrait, a montré comment on pouvait tuer la religion qu’il adorait[1]. »

Les coups les plus redoutables que la religion reçoit lui viennent souvent de l’imprudente main de ses amis. Fénelon, La Bruyère avaient certainement de bonnes intentions quand ils reprirent la tradition des vieux apologistes du XVIe siècle, — interrompue par saint François de Sales, brisée par Pascal une

  1. Article sur Pascal dans la Grande Encyclopédie.