Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 48.djvu/28

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des explications et réclamer satisfaction. A en juger d’après le rapport du comte Pahlen du 6/18 décembre 1837, le comte Molé fut très confus. « Je vous déclare, » dit-il, « avec peine, mais avec la plus entière franchise que j’ai eu complètement tort. Cette malheureuse phrase m’a échappé au milieu de la préoccupation que me donnent les débats sur la question espagnole. Cette affaire m’absorbait ; je croyais la majorité ébranlée par la crainte de l’établissement d’un régime absolutiste dans la Péninsule ; je voulais la rassurer sur les opinions du Cabinet ; je ne songeais dans ce moment qu’à l’Espagne et à la France, et j’ai prononcé ces paroles dont je n’ai senti que bien plus tard toute la portée, toutes les interprétations qu’elles pourraient surtout faire naître à l’étranger. Je vous le répète, je conviens de mon tort, mais il a été involontaire. Mes principes conservateurs en sont garans… Je crois qu’il ne faut sous aucun prétexte rompre les obligations réciproquement contractées. C’est à cette idée que j’ai voulu appliquer mes mots sur l’absolutisme ; je n’ai pas eu d’autres intentions ; rendez-moi la justice de le croire. » Le premier ministre exprima en outre ses remercie-mens au comte Pahlen de lui avoir fourni l’occasion de s’énoncer franchement vis-à-vis de lui. Le nuage fut dissipé, et l’Empereur écrivit sur le rapport de l’ambassadeur les paroles suivantes : « Pahlen a parfaitement agi. »

Ce petit conflit avec le chef du gouvernement français prouve une fois de plus quel immense abîme existait entre la Russie de l’époque de Nicolas Ier et la France de la monarchie de Juillet. Les relations entre les deux Cabinets suivirent leur cours par la force des choses ; mais il suffisait du moindre incident pour provoquer aussitôt des reproches et des récriminations amères.

A la fin de 1838, les nuages du conflit turco-égyptien surgirent une fois de plus à l’horizon politique. Le Cabinet impérial déclara à Paris qu’il n’admettrait jamais que le pacha d’Égypte vînt encore une fois troubler la paix de l’Europe. Lorsque la tentative de Mehemet-Ali d’obtenir l’indépendance entière de l’Egypte donna lieu à de nouvelles négociations diplomatiques, le Cabinet impérial décida d’en transférer le centre de gravité à Londres. Le baron Brunnow fut envoyé dans cette capitale en vue d’établir un accord complet entre la Russie et l’Angleterre. Le jeune diplomate russe s’acquitta avec un plein succès de la mission difficile qui lui fut confiée.