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bornes. Contrairement aux ordres du Roi, Thiers avait autorisé l’enrôlement en France de volontaires pour l’armée de la reine Christine d’Espagne. Le roi Louis-Philippe, en l’apprenant de la bouche du ministre d’Autriche, en fut indigné lui-même au plus haut degré. Au Conseil des ministres, il dit à Thiers : « Je vois bien que vous avez décidément perdu la tête ; je m’aperçois que j’ai commis une grande faute en suivant l’avis de certaines personnes qui m’ont conseillé de vous confier le portefeuille des Affaires étrangères. Avec un peu plus de sagesse et de modération et d’attachement à ma personne, vous auriez pu rester ministre jusqu’à la fin de mon règne ; mais vous prétendez lutter contre moi. Détrompez-vous, monsieur Thiers : vous êtes infiniment trop faible pour cela. Je suis l’homme de l’époque et du pays ; je ne connais peut-être même pas toute la force qui réside en moi, mais je sais bien que je suis extrêmement fort ! »

C’est avec ces paroles, du moins d’après le témoignage du comte Pahlen, que Louis-Philippe congédia Thiers et tout son ministère.

Lorsqu’on connut à Saint-Pétersbourg la politique de Thiers dans les affaires d’Espagne, l’ordre fut donné au comte Pahlen de quitter la France avec tout le personnel de l’ambassade. Cette résolution fut communiquée en même temps à Vienne et à Berlin. Mais en recevant la nouvelle de la chute de Thiers et de son ministère, le Cabinet impérial se rassura et applaudit à la nomination du comte Molé comme chef de cabinet et ministre des Affaires étrangères. Le comte Pahlen était aussi content du choix de Molé que de celui de Guizot, comme ministre de l’Instruction publique : il appelait ce dernier le cerveau et la tête du nouveau gouvernement. Les sentimens de satisfaction, inspirés au Cabinet impérial par le nouveau ministère ne furent d’ailleurs pas de longue durée. Après quelques mois, l’ambassadeur fut chargé de protester énergiquement contre le discours d’Odilon Barrot et d’autres députés français sur la question polonaise[1].

Les questions de politique étrangère rentraient au second plan, et on ne prévoyait pas de complications internationales sérieuses. En revanche, les affaires intérieures de la France attiraient l’attention du gouvernement impérial et le portaient à

  1. Dépêche du 27 janvier/8 février 1837.