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décider jusqu’à quel point la conduite de M. de Broglie est coupable en cette occasion, mais ce que je ne saurais passer sous silence, c’est le terme inconvenant dont il s’est servi en donnant l’épithète de déplorable à la victoire remportée par nos armes sur l’insurrection polonaise. Une pareille expression est-elle excusable dans la bouche d’un premier ministre d’un Cabinet qui professe des principes d’ordre et de stabilité ? Un pareil langage, en prêchant indirectement la révolte, ne doit-il pas au contraire offenser tous les gouvernemens réguliers et les rendre de plus en plus méfians des dispositions et des intentions d’un Cabinet présidé par un homme dont l’esprit de propagandisme révolutionnaire ne saurait désormais être un secret ? » — « Nul doute, » répliqua le Roi, « que l’expression de déplorable, appliquée comme elle l’a été par M. de Broglie, est de la plus haute inconvenance. C’est un étourdi dont je ne suis jamais sûr, malgré toutes les peines que je me donne d’agir utilement sur son esprit et de le maintenir dans une ligne directe et stable. J’y réussis parfois, mais souvent il m’échappe sans que malheureusement je me trouve dans la position de m’en débarrasser en le remplaçant par un homme de mon choix. » « Je vous le répète, continua le Roi, ce dont je gémis le plus, c’est de n’avoir pas à ma disposition les instrumens qu’il me faudrait pour arriver facilement et promptement au résultat que j’ai toujours en vue et qui consiste à faire disparaître de mes relations avec les puissances tout sujet de plaintes et d’éloignement. En attendant, veuillez, je vous prie, donner de ma part l’assurance à l’Empereur que je suis vivement peiné de n’être pas parvenu à empêcher l’adoption d’un terme peu important en lui-même, mais qui exprime une disposition malveillante envers la Russie. « L’empereur Nicolas Ier fut très satisfait de la conduite du comte Pahlen et inscrivit sur son rapport ces mots : Parfaitement agi.

L’Empereur fut d’autant plus satisfait que le comte avait produit sa protestation avant d’avoir reçu la dépêche du vice-chancelier du 25 janvier/6 février 1836, qui lui recommandait de faire précisément ce qu’il avait fait de sa propre initiative. Aussi voulut-il lui exprimer son contentement particulier. « Vos rapports, mon cher comte », écrivait-il le 15/27 février, « sont parfaits et me prouvent de plus en plus combien j’ai eu raison de vous envoyer à Paris. Vous avez le cœur droit et