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dont il l’avait recouverte ? Mais ce n’est là qu’une « situation. » Et une situation n’est rien par elle-même : elle ne vaut que par la façon dont elle est amenée et par les conséquences que l’auteur en déduit. Nous venons précisément d’en avoir la démonstration grâce à la singulière coïncidence qui, dans quatre des pièces jouées coup sur coup en quelques semaines, a ramené la même péripétie. Landri de Claviers n’est pas le fils du marquis de Claviers ; mais pas davantage, dans Israël, le jeune Thibault, prince de Clare, n’est le fils de son père. Dans la Maison en ordre, la pièce de Pinero, dont le Vaudeville nous a donné une adaptation, l’honnête, la paisible, l’exemplaire Annabel a parfaitement fauté ; on découvre qu’elle a eu un fils de son amant, et cette découverte porte à sa mémoire honorée une certaine atteinte. Il n’est pas jusqu’au petit Fouchard, qui, dans la pièce de MM. Raymond et Sylvane, au Gymnase, n’ait pour père selon la loi un facteur rural et selon la nature un gendarme. Or l’Émigré et Israël sont deux pièces aussi différentes qu’il est possible ; la Maison en ordre est un mélange du drame larmoyant à la manière du XVIIIe siècle, et de la caricature outrancière dans le goût anglais ; le Petit Fouchard est une farce tout à fait dénuée de prétentions, mais non dépourvue de bonne humeur et de gaieté facile. On voit par là le peu d’importance de la « situation » au théâtre. Ç’a été le tort de beaucoup de romanciers, de croire que tout roman qui enferme une situation dramatique est, de ce seul fait, destiné à devenir œuvre de théâtre.

Pour qu’il y ait théâtre il faut qu’il y ait conflit. Or le roman de M. Bourget reposait tout entier sur un conflit, celui qui met aux prises le vieux marquis et Landri, le père et le fils, comme on continuera quand même à les appeler. C’est ce qui désignait l’œuvre pour la scène. Tout l’effort du dramaturge n’a dû consister qu’à rendre ce conflit plus accusé, à en augmenter l’intensité, à y subordonner toute la marche, tous les incidens de l’action.

Ce conflit est un conflit d’idées. Les deux hommes ont une manière différente, opposée, de concevoir le rôle de l’aristocratie, et la défendent l’un et l’autre par les meilleurs argumens. C’est un des traits qui caractérisent l’art de M. Bourget au théâtre. Au lieu d’abonder dans un sens qui serait celui de sa propre opinion, il s’efforce de rester impartial. Au lieu de jeter dans la balance le poids qui l’entraînerait d’un côté, il s’ingénie à maintenir les deux plateaux en équilibre. Cette coquetterie de loyauté nous avait déjà beaucoup frappés dans le Divorce. Elle se retrouve, au même degré, dans les plus belles scènes de l’Émigré. Chacun des adversaires