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Mais rien du cœur ne s’est fixé
Sur ta grâce insensible et vaine,
Il te manque un fond de passé,
Une empreinte de vie humaine !


FIN D’AUTOMNE


A la mémoire d’Emile Pouvillon.

Tenant à mon ami par de tendres liens,
J’allais vers lui souvent, car nous étions voisins ;
Nous habitions au bord de la même rivière,
Moi dans les monts ardus, de teinte un peu sévère,
Lui plus bas, sous un ciel plus limpide et plus beau.
Je n’avais qu’à descendre, au cours souple de l’eau,
J’étais sûr de trouver, en touchant à la rive,
Sa figure joyeuse et sa parole vive
Et la claire chaleur de sa douce amitié…
Il est mort, maintenant !… Moi, triste, dépouillé,
Seul dans mon cœur désert que la sève abandonne,
Avec les arbres nus de cette fin d’automne
Je suis là sur la berge et vois les flots passer.
Ainsi qu’aux jours heureux je voudrais m’élancer,
Mais là-bas mon ami dort dans sa tombe noire !
Pour m’approcher au moins de lui par la mémoire,
J’évoque au cours du temps les souvenirs gardés
Dès l’heure où nos esprits se furent accordés ;
Et je vois revenir, du passé qui fut nôtre,
Les élans ingénus de nos cœurs l’un vers l’autre,
Le plaisir grandissant de découvrir en nous
Cette heureuse union des pensers et des goûts
Qui tisse une amitié de jour en jour plus sûre,
Les vifs regards donnés ensemble à la nature
Quand nous allions tous deux, ravis des chants d’oiseaux,
Admirer les saisons, les forêts et les eaux,
Ma joie à voir sentir d’une façon si fine
Ce cœur pur qu’exaltait un parfum d’églantine,
L’exemple précieux de son art délicat,
Intense, concentré dans un subit éclat,