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adroitement, on écartait, ou l’on retardait, se poseront : c’est autour d’elles, à propos d’elles, que se livreront les batailles légales du nombre. Disons bien : les batailles légales : des autres, — quoiqu’il y ait peut-être à les prévoir, — du miracle que doit accomplir « la violence, » nous n’avons pas à nous occuper en cet essai où l’on voudrait traiter positivement, historiquement, évolutionnairement et non révolutionnairement, de la Crise de l’État moderne.

Pour qu’il y ait une crise de l’État, il faut qu’il y ait un État, et que la crise ne soit pas la mort. Or, s’il y a encore un État, et tant qu’il y en aura un ; s’il naît encore des hommes d’État et tant qu’il en restera un seul ; s’il y a encore une loi, et tant que cette loi aura à son service une force que n’annihile pas la force déréglée et effrénée du nombre ; tant que le nombre, par une véritable trahison envers ce que toutes les classes mettent en commun dans l’État, n’opposera pas, jusque sous les armes, une classe à l’État lui-même, l’homme d’État saura ce qu’il a à faire contre la violence, il se rappellera que la force de la loi ne lui a pas été confiée pour rien. Mais il est des batailles légales, dont l’enjeu n’est guère moindre, où le Nombre peut et doit être légitimement victorieux, tourner de son côté la force de la loi, et, à l’avantage d’une classe, faire pencher vers elle tout l’État.

À présent que j’ai dit, en termes concrets et suffisamment clairs, ce que j’entendais par le Nombre, — c’est le suffrage universel, et, dans le suffrage universel, c’est la classe ouvrière représentée surtout par les ouvriers de la grande industrie, qui, s’ils ne sont pas le nombre mathématiquement, arithmétiquement, le sont néanmoins, du fait de leur concentration, socialement et politiquement, — j’espère que « la nuée » est crevée et que le brouillard est dissipé.


CHARLES BENOIST.