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serait pas certain encore d’avoir acquis le droit de conclure, car rien ne prouve que la marche des faits restera constante, que tel ou tel phénomène différent ou contraire (et nous avons pris soin d’en avertir) ne pourra point venir la traverser, la faire obliquer, dévier ou rebrousser. Mais du moins, ayant fait cela, ayant observé le présent et interrogé le passé, on aura mis de son côté le plus de chances de vérité possible, éliminé le plus de risques d’erreur, compté avec tous les facteurs et tous les coefficiens mesurables de l’avenir. On sera allé, par la connaissance des faits, à la conquête du réel, et on y sera allé non pas contre les règles de la méthode et de la science, mais selon ces règles mêmes, selon les plus positives de ces règles : « En quelque ordre de phénomènes que ce puisse être, même envers les plus simples, aucune observation n’est possible qu’autant qu’elle est primitivement dirigée et finalement interprétée par une théorie quelconque… Il est désormais évident, du point de vue vraiment scientifique, que toute observation isolée, entièrement empirique, est essentiellement oiseuse, et même radicalement incertaine. » Avoir un objet, un plan, une ligne, ce n’est donc pas fausser l’observation, mais se conformer à sa première condition, et la rendre ainsi profitable en la situant parmi toutes les autres. Avoir une idée et vouloir l’éprouver aux faits pour la conserver ou la rejeter, c’est stimuler la recherche et féconder le sujet par l’hypothèse, c’est donner au germe le « coup de fouet » d’où naît la vie. « Ceux qui attendraient que la théorie, au contraire, fût suggérée par les observations elles-mêmes méconnaîtraient totalement la marche nécessaire de l’esprit humain, qui, jusque dans ses plus simples recherches, a dû faire précéder ces observations scientifiques par une conception quelconque des phénomènes correspondans[1]. »

Maintenant, nos critiques veulent-ils que nous ayons par-ci par-là semé quelque phrase téméraire, et qu’il y en ait de la sorte trois ou quatre en cinq cents pages, celle-ci notamment, — à laquelle, pour ma part, je reproche surtout d’être un peu trop une phrase : « Dans l’œuvre mystérieuse qui s’élabore, si nous pouvons jouer un rôle (c’est déjà une réserve), notre tâche à nous doit être de changer peu à peu en des élémens organisés la matière inorganisée du monde, d’apaiser et de capter les

  1. Aug. Comte, Cours de philosophie positive, 49e et 51e leçons, t. IV, p. 334 et 532.