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petit troupeau perdu dans la foule[1], et, s’ils se trompent sur les sentimens de cette foule, n’est-il point de leur intérêt, comme du nôtre, d’en être avertis ?

Or ces généreux patriotes vous tiennent, ou à peu près, le langage suivant : « Eh quoi ! — disent-ils, — ne circulez-vous pas chez nous en toute liberté ? Qui vous a jamais attaqué, ou seulement molesté pour cause de religion ? N’accueillons-nous point avec une égale tolérance toutes les religions possibles ? Voyez nos grandes villes : Constantinople, le Caire, Beyrouth, Jérusalem. Toutes les confessions imaginables, n’y ont-elles point leurs églises ou leurs temples ? Tandis que Paris n’a pas de mosquées, Constantinople possède des sanctuaires pour toutes les variétés de sectes chrétiennes. Bien plus, les religieuses expulsées de votre pays, vos sœurs de Saint-Vincent de Paul, ont trouvé un asile dans nos hôpitaux. Ne pouvant plus soigner les soldats français, elles soignent les soldats de notre Sultan, qui leur témoigne une faveur particulière. Ces victimes de votre fanatisme reçoivent chez nous un accueil fraternel. Le respect dont on les entoure est si grand que, par un privilège spécial, elles ont le droit de pénétrer dans l’enceinte de la mosquée d’Omar, le lieu le plus saint de tout l’Islam après la Mecque. Et vos Jésuites, vos Dominicains, vos Lazaristes, vos Assomptionnistes, vos Bénédictins, vos Capucins, vos Frères de la Doctrine chrétienne, toutes ces congrégations que vous avez dispersées, chassées de chez vous pour cause de religion, ne sont-elles point libres, ici, d’enseigner, de catéchiser, de prier à leur guise ? Est-ce nous qui faisons fermer les couvens, qui crochetons les églises et les chapelles ? D’ailleurs, si nous ne pratiquions point naturellement cette tolérance, notre religion nous en ferait un devoir. Elle nous prescrit d’être humains et hospitaliers envers tous les hommes, quels qu’ils soient. »

A quoi je répondrai : Oui ! sans doute, j’accorde tout cela. Je ne veux même pas poser la question indiscrète de savoir ce qu’il adviendrait de cette tolérance, si les nations chrétiennes n’étaient plus capables de l’imposer à l’Islam par la force. Mais j’observe une chose manifeste : c’est que, si une minorité éclairée

  1. Cette assertion peut sembler inexacte, après les manifestations populaires auxquelles, récemment, ont donné lieu les funérailles de Moustafa Kamel. Mais je m’expliquerai là-dessus plus précisément, lorsque j’étudierai l’élite musulmane et son action sur le peuple.