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cette coutume est bien simple : « Tu embellis ta maison : donc tu as de l’argent disponible. Alors il est juste que l’Etat, qui te protège, en ait sa part. » Ces habitudes patriarcales deviennent, on le conçoit, très aisément vexatoires. Un Français qui possédait une maison de campagne aux environs de Péra, m’avouait qu’il avait dû s’en débarrasser, étant pris dans ce dilemme : ou la laisser tomber en ruines, ou payer pour les réparations des sommes qu’il jugeait très disproportionnées avec la valeur de l’immeuble.

Il y aurait vraiment de quoi rire, si l’on s’amusait à cataloguer toutes les chinoiseries administratives dont les malheureux propriétaires sont victimes, en terre ottomane. J’ai vu, sur les hauteurs de Taxim, une fort belle maison inhabitée, quoique neuve et admirablement située. Comme j’en demandais le pourquoi, voici ce qu’on me répondit. D’abord, l’autorité arrêta les constructions de l’immeuble, dès qu’il eut atteint son premier étage, sous prétexte que, des fenêtres, la vue plongeait dans une cour de caserne. Un arrangement pécuniaire intervint qui emporta l’objection. Mais, lorsque le second étage fut élevé, la même autorité vigilante s’avisa, cette fois, que, du haut des balcons, les locataires pourraient couler un regard indiscret du côté d’Yldiz et des jardins impériaux : licence dangereuse et, en tout cas, attentatoire à la majesté du Padischah. En conséquence, le propriétaire fut requis ou bien de boucher toutes les ouvertures du second étage, ou de laisser sa maison inhabitée. C’est ce dernier parti qu’il adopta. L’affaire en était là en 1906. Il est fort probable que, depuis, un nouvel arrangement est survenu, le bakchich ayant tout aplani.

Voilà les agrémens qui attendent les simples particuliers qui font bâtir. C’est bien pis pour les communautés religieuses. La construction d’un couvent, d’une église surtout, est une véritable affaire d’Etat qui met en mouvement les ambassades et qui réclame leurs plus énergiques instances. En droit musulman strict, il est défendu d’élever de nouvelles églises sur une terre d’Islam[1]. Même la réparation des églises existantes n’est que

  1. Maintenant que l’égalité civile de tous les cultes vient d’être proclamée par les Jeunes-Turcs, il est évident que cette législation devra être complètement remaniée. Mais que de difficultés sont à prévoir, et comme l’œuvre réformatrice sera longue ! Le parlement ottoman, quand il aura obtenu ce premier et difficile résultat de se réunir, va se trouver en présence d’une tâche formidable.