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Pour triompher sur un terrain aussi fuyant, il faut être doué d’une souplesse, d’une longanimité que l’Occidental ne connaît plus, ou être rompu, par toute une éducation spéciale, aux ruses d’une diplomatie archaïque, qui s’inspire des traditions les plus subtiles de Byzance. J’ai retenu, comme vraiment typique, ce mot d’un Père jésuite qui fait autant d’honneur à l’esprit de l’Eglise qu’à la ténacité de l’adversaire musulman : « Ici, tout est difficile, mais rien n’est impossible ! » Et je le rapprochais d’un autre mot non moins significatif, prononcé devant moi par un industriel français : « J’ai toujours trois ou quatre petites affaires qui mijotent… Sur le nombre, il y en a bien une qui finit par se cuire. » Les moyens employés pour atteindre ces pénibles résultats sont fort variés. Il va de soi que « les largesses, les dons, invincibles appas » figurent au premier rang et parmi les plus efficaces. De tout temps, l’imagination orientale s’est laissé éblouir par la splendeur des présens, et, depuis les temps fabuleux de la reine de Saba, toutes les grandes rencontres et tous les grands accords, en ce pays de la pompe et de la magnificence, ont été précédés par des cortèges de chameaux et de serviteurs portant des vases précieux et les parfums qui dissipent les mauvaises odeurs…

Innombrables sont les circonstances où s’impose l’obligation du « présent. » S’agit-il, par exemple, pour-un Européen, de faire construire une maison, il surgit à l’encontre de son projet de telles difficultés administratives que, seul, l’emploi du bakchich en peut adoucir la rigueur. Sans doute, en matière de droits immobiliers, le régime est le même pour les étrangers que pour les Ottomans. Mais c’est précisément ce régime qui n’est pas commode.

Avant de convoquer l’architecte et les maçons, un iradé, une autorisation impériale, est nécessaire. Ce n’est là, je le veux bien, qu’une formalité. Il n’en est pas moins vrai que cette formalité est souvent longue et coûteuse. Les difficultés se compliquent, s’il est question d’agrandissemens, de constructions nouvelles sur une propriété, voire de simples réparations. A Constantinople, paraît-il, les habitans sont exempts d’impôts mobiliers. Mais, dès qu’ils se permettent la moindre réparation, le fisc s’abat sur eux, en exigeant une contribution qui peut être considérable et dont le chiffre dépend, en somme, du bon plaisir de l’administration. Le raisonnement sur lequel repose