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d’industriel, est sujet à de pires désagrémens. De temps en temps, il nous en arrive des échos par les journaux, dont l’officieuse réserve n’est pas toujours en mesure de tamiser à point la vérité. N’appuyons pas trop sur ce sujet délicat, et si, pour un fournisseur ou un fonctionnaire, la plus ordinaire mésaventure, en ces pays, consiste à n’être pas payé, il faut en prendre philosophiquement son parti. A quoi bon récriminer, puisque c’est ainsi ? Depuis un quart de siècle, tout l’effort de notre diplomatie, en Orient, se réduit pour ainsi dire à des recouvremens de créances. Quelquefois seulement, lorsque ces opérations nécessitent un appareillage d’escadre, un commencement de démonstration navale, l’opinion se décide à s’émouvoir. Les Turcs habitués à ces incidens, qui étaient comme une conséquence inévitable de leur ancien régime politique, les envisagent avec une sérénité hautaine et quelque peu méprisante. L’un d’eux me le disait, un jour, non sans une pointe d’amertume : « On ne voit plus vos flottes dans nos parages !… ou, quand on les voit, c’est pour de l’argent !… Ah ! vous n’êtes pas fiers !… » Il convient en effet de le reconnaître : les individus qui provoquent ces mises en demeure ne sont pas toujours très intéressans. C’est si vrai que l’aveu en échappe souvent, même à ceux qui auraient avantage à se taire. J’admirai fort le ton de commisération touchante dont un directeur de compagnie industrielle, causant devant un groupe d’Européens, accompagnait cette phrase candide : « Ces pauvres Turcs !… Tout de même, nous leur prenons beaucoup ! »

Mais il n’en est pas moins vrai que ces difficultés d’ordre financier sont extrêmement désagréables pour les gens de moralité correcte et pour quiconque est accoutumé à faire fond sur la parole d’un gouvernement régulier. Ce qu’il y a de plus irritant, c’est le parti pris d’inertie et de mauvais vouloir, et, pour tout dire, le système des bâtons dans les roues, dont les autorités ottomanes se prévalent contre les Européens qui sollicitent des concessions de travaux publics ou d’exploitations privées, qui tentent d’amorcer la moindre affaire. Les lenteurs calculées qu’on leur oppose, lenteurs interminables et qui aboutissent fréquemment à une fin de non-recevoir pure et simple, quand une intervention diplomatique ne se produit pas à temps, les singularités de la procédure et de la législation, la vénalité administrative, tout cela paralyse les énergies les mieux préparées à la lutte.