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D’après la capitale de l’Empire, on peut juger du reste. Smyrne elle-même (bien qu’à moitié grecque), Damas, Alep, Beyrouth, Caïffa, Jaffa exhalent un même parfum oriental. Mais tout cède à la pestilence de Jérusalem, qui est incomparable.

Dirai-je le scandale permanent de la Via dolorosa, la rue sainte entre toutes pour nous autres chrétiens ? Elle dévale du haut en bas de la ville comme un égout collecteur, dont l’odeur égale presque celle de la rue des Juifs. Ah ! celle-là, elle défie toute expression ! J’eus pourtant la constance de la visiter dans ses moindres recoins, guidé par le directeur de l’Ecole israélite, qui voulait me mettre sous les yeux, et, si j’ose le dire, sous les narines, l’effroyable misère de ses coreligionnaires pauvres. Il n’exagérait pas : une telle abjection vous serre le cœur.

Nous remontâmes le long couloir de ce ghetto, empoisonné par une intolérable puanteur de poisson pourri, le poisson desséché dont ils se nourrissent et qui s’empile par monceaux dans les échoppes des épiciers. Nous parcourûmes les taudis groupés autour de la Synagogue. Quelques-uns sont de véritables caves, où s’entassent des familles entières avec des régimens d’enfans anémiques, espèces de larves humaines. L’humidité malsaine, l’atmosphère fétide de ces chenils, les eaux stagnantes qui se décomposent entre les creux des pavés, c’est le fumier de Job dans toute son horreur ! Et le cynisme de cette saleté paraissait plus navrant par la profusion des velours dont ces indigens sont couverts : des velours violets, des velours topaze ou nacarat qui balayaient les immondices de la rue. Au moment où nous sortions de la Synagogue, deux fillettes extrêmement parées s’échappèrent d’une porte basse, en répandant derrière elles des effluves de poudre à la Maréchale, si véhémens qu’ils tuaient l’écœurante odeur de poisson pourri. Tout l’Orient est dans cette antithèse : des odeurs suaves sur de la pourriture !

Or, cette hantise de la pourriture vous poursuit d’un bout à l’autre de Jérusalem. Elle vous accompagne hors des murs, au pont du Cédron, aux alentours de Gethsémani, où des bandes de lépreux vous talonnent en criant : « Bakchich ! bakchich ! » La pourriture millénaire de Jérusalem ! Elle vous parle un langage singulièrement émouvant par toutes les bouches de ses sépulcres qui baillent au soleil, par toutes les pierres tombales qui descendent aux flancs de la vallée de Josaphat ! Cette