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toujours leur ronflement angoissé. Mais je ne pouvais pas fermer l’œil. J’étais emporté par une alacrité intellectuelle extraordinaire, presque morbide. Les objets et les êtres qui m’environnaient prenaient, pour moi, un sens inquiétant. Je regardais les couches de sable s’épaissir sous les portes, s’étendre sur les dalles et sur les meubles, — et les visages déjà momifiés des gâfirs, leurs corps décharnés et comme prêts pour l’embaumement… Et le Memento quia pulvis es m’obsédait avec une rigueur opprimante : oui ! à quoi bon lutter ? Un jour de plus, un jour de moins, qu’importe ? On est déjà recouvert et enseveli. Au milieu de ces sépulcres qui subsistent encore après quatre mille ans, quand leurs cadavres sont depuis longtemps dispersés, parmi les images dérisoires peintes sur leurs murs, — tous ces faux symboles d’abondance et de joie, — dans ce lieu où peut-être l’homme a crié le plus éperdument son désir d’immortalité, je sentais peser sur moi, en une détresse de toute mon âme, l’omnipotence de la mort…

Mais ces désolations et ces ardeurs extrêmes ne se supportent que quelques instans, comme on supporte le sublime ou les paroxysmes de la passion. Prolongées, c’est le délire, la folie ou l’extase.


III. — LE FUMIER ORIENTAL

Taine a écrit quelque part : « Le moyen âge a vécu sur un fumier. » On peut en dire autant de l’Orient d’aujourd’hui. Cette insouciance de l’ordure jointe aux désagrémens du climat est, pour l’Occidental qui séjourne en ces pays, une des causes les plus fréquentes d’incommodité et de mauvaise humeur. Tous nos principes d’hygiène y sont scandaleusement bafoués, et ce n’est pas un de nos moindres étonnemens que les Musulmans, en général si propres sur eux, acceptent, avec une pareille indifférence, le voisinage de toutes les pestes et de toutes les impuretés.

Ceux d’entre eux qui ont été élevés à l’européenne gémissent quelquefois sur cet état de choses. Leurs doléances sont-elles absolument sincères ? Je ne prétends point en juger. Mais certaines de nos conversations me reviennent en mémoire. Un