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exposé à l’air se racornissait, s’écrasait sous les doigts comme une cendre. Le vent soufflait toujours, on mâchait du sable avec les bouchées arides de ce mauvais pain. Nous renonçâmes. Chacun se coucha sur les tables de la vérandah. À terre, les gardiens allongés poussaient un ronflement rauque et pénible comme celui des patiens qu’on endort avec du chloroforme. Le museau entre les pattes, le chien du logis n’avait même plus la force d’aboyer. Le sable éparpillé par les souffles se collait à nos cheveux, à nos fronts en sueur. Nous gisions ainsi, les muscles vibrans et douloureux, moins pour dormir que pour échapper à l’atmosphère du dehors.

C’était exaspérant, cette immobilité fébrile !… Tout d’un coup, je me levai. Je voulais sortir, je voulais voir quand même. Il était deux heures, le soleil dardait d’aplomb. Mais le vent calmé ne se soulevait plus que par intermittences…

Je franchis le seuil : ce fut terrassant de lumière, de chaleur, de splendeur funèbre !… Le plein midi ! L’heure blanche du Sud ! l’heure de diamant ! Quelle ivresse ! Être seul dans ce cercle immense, enflammé et pâle de l’horizon ! La terre, à l’infini, avait une couleur d’ossemens. Le ciel embué de poussière grise, vers le couchant, était, à l’Est, d’un bleu suave et léger. Partout, autour de moi, un cirque effroyable de sables brûlans, fumans comme une solfatare, se gonflant et bouillonnant comme une matière en fusion qui cherche sa forme. Pas de lignes, pas d’arêtes vives, tous les plans brouillés selon les sautes de la rafale ! Au loin, la chaîne libyque indistincte ; plus près, les dunes de Memphis striées d’ondulations symétriques qui se poursuivaient comme les pas du vent sur le sol friable. Et, dans ce vide surchauffé de l’espace, dans l’âpreté fauve des sables, les pyramides tronquées se dressaient toutes blanches, éblouissantes, — amoncellemens de neiges qui fondent au soleil.

Fléchissant sous l’averse du feu dévorateur, avec quel accent de commisération fervente, je me répétai la prière rituelle des morts qui, dans cette nécropole, me pressaient de leur peuple innombrable : « Qu’on me donne à boire de l’eau qui court ! Qu’on me tourne la face vers le vent du Nord, afin que mon cœur en soit rafraîchi dans son chagrin ! » Cette goutte d’eau implorée parmi tant de sécheresse implacable, elle me parut alors plus chimérique que le plus impossible des paradis ! Je défaillais. Je revins me coucher sous la vérandah, à côté des gardiens qui poussaient