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trois gentlemen sur des ânes et on les ramenait, Dieu sait comment, à leurs logis respectifs.

Même chez les Européens qui ne glissent pas aux vices du climat, il y a toujours une nervosité inquiétante, une irritabilité maladive, dont il est nécessaire d’être averti, quand on entre en rapports avec eux. A la moindre élévation de température, ils ont le teint fiévreux ; les yeux dilatés leur sortent des orbites, et s’injectent de sang. L’incident le plus futile, un mot mal compris les arrachent instantanément à leur torpeur et les jettent dans des crises furibondes. Je ne vois guère que les Grecs qui subissent impunément l’influence énervante de ces pays. Le Grec est admirable. Rien ne paraît mordre sur lui. La peau sèche, le corps sain, l’esprit lucide et calculateur, il est, — sans rival possible, — le maître du Sud. Il est vrai que les Grecs sont des Européens d’avant-garde. Nous autres, il faut nous résigner à n’être jamais que des passans là où ils s’établissent et triomphent. Nous le savons bien d’ailleurs, et si j’insiste ainsi sur ces contrariétés du sol, c’est que nos descripteurs les oublient trop aisément pour les spectacles de beauté dont l’Orient est prodigue, et que, chez nous, comme ailleurs, la manie de l’expansion coloniale à outrance nous amène à ne plus considérer les difficultés inhérentes à la conquête.

Pourtant, même au pire de la fournaise, il y a pour l’artiste errant, des visions si splendides, des momens d’exaltation si vertigineuse, que les trop réelles souffrances dont il les paie ne comptent guère. Où je l’éprouvai avec une intensité inoubliable, ce fut à Sakkara, par un des jours les plus brûlans de l’été.


Nous n’y étions arrivés qu’à midi. Sous les rafales d’un grand vent d’Est qui nous aveuglait de poussière, et qui nous criblait d’un grésillement continu de petites pierres tranchantes, nous avions traversé les ruines de Memphis, nous étions descendus dans les hypogées aux fraîches enluminures, dans les longs corridors souterrains, où sont les cuves funéraires et colossales des Apis. Une mer de sable torride nous environnait, obstruait les bouches étroites des sépultures, déferlait contre les pyramides à demi submergées, recouvrait nos pieds de sa nappe mouvante. Accablés par la pesanteur du soleil, nous nous réfugiâmes dans la Maison de Mariette, et, selon la coutume, nous essayâmes de manger. L’eau que nous avions apportée était tiède, le pain sitôt