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LA RÉALITÉ
ET
LE MIRAGE ORIENTAL[1]


I. — LA PORTE D’OR

Je me souviendrai longtemps de la gaîté irrévérencieuse qui me prit, lorsque, pour la première fois, dans Stamboul je me trouvai en présence de la Sublime-Porte. C’est à droite, en montant la longue rue tortueuse qui conduit à Sainte-Sophie, — une rue tranquille et peu commerçante, comme celles qui conduisent à la cathédrale dans nos villes de province. Le petit tramway jaune, qui nous traînait cahin-caha, s’était arrêté, pour relayer, devant une écurie à chevaux pratiquée à même le mur du Vieux-Sérail. Nous roulions entre une double rangée de façades mornes, aux rares ouvertures : une porte apparut, toute semblable à la porte cochère d’un jardin abandonné, avec des ferrures mangées de rouille et une espèce d’auvent qui s’étend de chaque côté. Précipitamment, je descendis du tramway, je consultai mon Baedeker : c’était bien Elle, — la Sublime-Porte[2], dont le nom seul évêque de si fastueuses images ! Le contraste était à ce point violent entre la merveille espérée et ce que j’avais sous les yeux, que je ne pus maîtriser un éclat de rire, au grand scandale des soldats turcs, qui, du poste voisin, m’observaient. En vain je la considérai, cette Sublime-Porte,

  1. Voyez la Revue du 15 septembre.
  2. Pour parler exactement, c’est la porte principale de la Sublime-Porte, qui comprend tout un ensemble de bâtimens.