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des grands seigneurs restèrent ou revinrent sur leurs terres. En second lieu, Bismarck pensait que, en ôtant à la noblesse ses moyens d’action et d’agitation, le peuple, uniquement préoccupé de son pain quotidien, porterait, avec la tête sinon avec le cœur, le joug prussien sans se plaindre. C’était la croyance générale de l’époque et l’homme d’Etat au long regard ne vit pas que, sous la pression des circonstances historiques, une scission s’était produite. Les deux classes avaient déjà des aspirations et des organisations distinctes. L’une était le prestige du passé, l’autre la force de l’avenir. Aujourd’hui, le peuple et la noblesse font de nouveau cause commune ; le rapprochement s’est fait entre l’enclume et le marteau et, dans la Pologne prussienne d’à présent, la lutte pour deux ou trois idées fondamentales et abstraites a remplacé la lutte de classes.

Au cours du XIXe siècle, la protestation des Polonais contre le démembrement prit trois formes successives. De 1831 à 1863, le comité de « l’Emigration, » réfugié à Paris, régna sur les esprits. De 1864 à 1893, « la fraction polonaise de Berlin » eut mission de défendre au Parlement les intérêts nationaux. A la chute de Bismarck, elle eut une heure de crédit. Le nouveau chancelier, M. de Caprivi, avait besoin des voix polonaises pour le vote des lois sur la marine et sur l’armée. En retour de ses services, « la fraction » obtint quelques concessions. La presse « radicale » l’engageait à poser des conditions au gouvernement, telles que la réintroduction du polonais à l’école primaire comme langue d’enseignement et la suppression de la Commission de colonisation. Un mouvement démocratique se dessina contre « le parti de la Cour. » M. de Koscielski prononça à Lemberg un discours fameux. Ce fut le prétexte qui mit fin à l’ère de conciliation (1890-1894). Les Polonais constituent depuis lors une communauté particulière ayant une vie propre. Le professeur L. Bernhard a étudié ce Gememwesen dans un beau livre[1] qui fait autorité dans les deux camps et auquel nous ont renvoyé Prussiens et Polonais. Nous lui emprunterons des chiffres et des faits dont nous ne dégagerons d’autre leçon politique que celle qui s’impose à notre jugement d’observateur impartial.

Après l’échec de 4863, un notable polonais demanda, dit-on, à M. Thiers ce qu’il fallait faire pour restaurer le royaume de

  1. Ludwig Bernhard, Das polnische Gemeinwesen im preussischen Staat. Die Polenfrage, in-8o ; Leipzig, 1907.