Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 48.djvu/113

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

comme des cas de conscience. Cependant, un mouvement de résistance se dessina, s’affirma dans la Chambre des seigneurs où siège la vieille noblesse qui forme la clef de voûte de l’Etat prussien. Le 30 janvier 1908, le chancelier de l’Empire proclama la patrie en danger ; il fit parler Bismarck, et la loi d’expropriation, votée le 27 février, créa dans deux provinces un régime d’exception pour la propriété de deux millions d’hommes, sujets prussiens depuis plus d’un siècle. La Prusse terrienne était vaincue par les professeurs, les manieurs d’argent, les bourgmestres des villes de l’Ouest industriel.

Un événement aussi considérable n’a point surgi sous la pression de circonstances fortuites. Il est l’effet d’un enchaînement de causes dont il nous faut remonter le cours. La loi d’expropriation ouvre une phase nouvelle du Drang nach Osten ; elle montre l’impasse à laquelle aboutit la politique de colonisation, inaugurée par Bismarck en 1886, du fait de l’organisation économique et sociale des Polonais qui se sont disciplinés pour lui faire échec ; elle marque la faillite des méthodes d’annexion des âmes par la violence ; enfin, elle engage le gouvernement prussien dans des voies qui, d’après l’avis motivé des hommes compétens et sans rancunes, ne conduiront pas aux solutions justes ni prochaines.


I

La poussée allemande vers l’Est dure depuis des siècles. Elle s’est effectuée sous deux formes principales : la guerre et la colonisation, alternant l’une avec l’autre. Chevaliers mystiques à l’origine, roi philosophe à l’apogée de l’histoire de Prusse, commis-comptables d’aujourd’hui poursuivent la même œuvre : opposer au flot slave une armée de soldats qui prennent la terre, et de colons qui la gardent et la germanisent en la cultivant. Dès le moyen âge, artisans et paysans affluèrent d’une manière ininterrompue vers les provinces orientales. Quelques générations suffirent à épuiser l’apport historique des immigrans. Les Allemands changèrent d’âme et de nom et devinrent polonais. Frédéric II bâtit 900 villages et installa 300 000 colons dans ses conquêtes, trop rapides et trop grandes pour pouvoir être consolidées par des forteresses