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allait être plus gênée que jamais. Elle avait répété tant de fois qu’elle était à l’étroit par la faute de Monsieur, qui lui refusait des chemises pour donner tout l’argent de la maison à ses favoris, qu’on s’était attendu à la voir riche le jour où on la verrait veuve. « Amelisse » avait même fait à ce propos quelques bavardages qui mécontentèrent Madame ; il lui importait, pour son repos, qu’on la crût sans le sol, et elle écrivit à Louise : « (15 juillet 1701 ») Amelisse est très mal renseignée de me croire si bien pourvue. Les lamentations n’étant pas du tout mon genre, je me tais ; je me contenterai d’ajouter qu’il s’en faudra cette année de 80 000 francs que je joigne les deux bouts ; ma maison manque du nécessaire, sans parler de ce qu’il me restera pour mon agrément ou mon plaisir. » Les raugraves avaient eu une fausse joie ; le veuvage ne rendrait pas Liselotte plus donnante.

La vérité est que Madame, ses affaires réglées, se trouva dans une grande situation. Son fils y avait veillé. Elle avait des reprises à exercer ; le Duc d’Orléans fit largement les choses, de manière qu’entre sa dot, son douaire de 40 000 livres l’an, ce qu’elle avait hérité de son père ou de son frère et « les bienfaits du Roi, » Liselotte eut mauvaise grâce à se plaindre. Tout Versailles sut le chiffre exact de ses revenus le 2 janvier 1702, par une de ses communications officieuses venues on ne savait d’où, qui étaient l’un des traits caractéristiques de la Cour de Louis XIV. Dangeau nota dans son Journal : « Les affaires de Madame avec M. le Duc d’Orléans sont entièrement réglées. Ce prince en a très bien usé ; il donne à Madame au-delà de ce qu’elle pouvait prétendre. Elle aura de lui 200 000 livres par an, et le Roi lui donne, comme du vivant de Monsieur, 250 000 livres, et outre cela de grosses étrennes ; ainsi Madame jouira de 450 000 livres de rente. »

La mère et le fils devaient partager ce qu’il reviendrait encore du Palatinat pour la fameuse affaire des allodiaux[1], toujours pendante à Rome ; mais ce morceau-là, qui aurait pu être le plus gros, s’en alla en fumée. On se rappelle que le Pape avait été pris pour arbitre, et qu’il s’agissait de faire le départ entre ce qui devait revenir à Madame dans la succession de son père, l’Électeur Charles-Louis, et ce qui devait passer avec

  1. Voyez la Revue du 15 juin 1908, p. 825.