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le 27 juillet, que Madame soit de tout ; il dit qu’elle est ici dans sa famille, et qu’ainsi il faut qu’elle vive comme les autres, et qu’elle n’y soit pas retirée. » Ce fut le Roi qui l’entraîna à la chasse, en tête à tête dans la voiture légère, aux quatre petits chevaux rapides, qu’il conduisait lui-même ; Mme de Maintenon suivait dans une autre voiture. On se représente la joie intense de Liselotte en filant sous les voûtes de verdure, comme aux jours radieux de leur jeunesse, avec le prince qui tenait une si grande place dans sa pensée. Ce fut encore le Roi qui, sachant son chagrin d’être sevrée de théâtre, la fit inviter par Mme de Maintenon à voir jouer chez cette dernière, par une troupe d’amateurs, une « tragédie sainte, » où Madame eut le plaisir de « pleurer comme une folle[1] » et d’admirer son fils en roi David.

L’Electrice Sophie et les raugraves s’étonnaient de la savoir encore à la cour de France. Elles s’étaient figuré, ses lettres sous les yeux, que Liselotte, devenue libre, n’aurait rien de plus pressé que de fuir ce monde odieux, et sa conduite les déroutait. Pourquoi leur avoir fait mystère du rapprochement avec Monsieur ? Pourquoi avoir continué à se plaindre de lui et de ses favoris ? Un mois après son veuvage, Madame avait écrit à sa tante Sophie, brusquement, sans autre explication : « (7 juillet.) Si Monsieur avait vécu, j’aurais pu mener une existence paisible ; j’étais arrivée à me faire craindre des favoris, le pauvre homme commençait à devenir dévot : il s’était donc amendé et ne me faisait plus de mal[2]. » Elle répéta cette même information, avec de légères variantes, à plusieurs correspondans. Par exemple : « Ces trois dernières années, il était tellement revenu pour moi, que ses favoris ne me pouvaient plus nuire, et pour lui plaire j’avais fait avec eux un sincère accommodement[3]. » Ou encore, longtemps après ; « Trois ou quatre ans avant la mort de Monsieur, mon époux, je me réconciliai pour lui faire plaisir avec le chevalier de Lorraine. Depuis, le chevalier ne m’a plus donné aucun sujet de plainte[4]. » Ainsi de suite. Pourquoi ne l’avoir pas dit au moment même ?

  1. Lettre du 5 février 1702 à Philippe V, roi d’Espagne. La pièce s’appelait Absalon, tragédie sainte par Duché de Vancy. La représentation eut lieu le 24 janvier.
  2. Jæglé, I, 242. Supprimé dans l’édition allemande.
  3. Lettre en français, sans date, au duc Antoine-Ulrich de Brunswick-Wolfenbuttel (éd. de Stuttgart, VII, 583).
  4. Du 31 mars 1116. (Fragmens de lettres originales, II, 129.)