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s’en défendit, discuta, négocia, et obtint finalement de rester à Versailles ; mais l’avenir s’annonçait mal.

Il était environ sept heures du matin lorsqu’elle écrivit à sa tante Sophie, d’une écriture tremblée, le billet que voici : « C’est la plus malheureuse de toutes les créatures qui écrit à Votre Dilection. Monsieur a été frappé d’apoplexie hier soir à dix heures. Il est à l’agonie, et moi dans le plus grand malheur du monde. » Entre huit et neuf, le Roi repartit pour Marly. À midi, Monsieur expira, et Madame monta sur-le-champ en carrosse. Elle prit la route de Versailles dans un grand trouble d’esprit. Monsieur, même aux jours de brouille, lui était un rempart contre Mme de Maintenon, qu’il ne pouvait souffrir : « Ce n’était pas sa faveur qui le blessait, explique Saint-Simon ; mais, d’imaginer que la Scarron était devenue sa belle-sœur, cette pensée lui était insupportable[1]. » Monsieur disparu, qui protégerait Madame ? Qu’allait-elle devenir ?


IV

Le secours vint à Madame d’où elle l’attendait le moins : « Mme de Maintenon me fit dire par mon fils que ce serait le bon moment pour me réconcilier avec le Roi[2]. » Louis XIV était attendri ; il fallait se hâter d’en profiter. « Là-dessus, poursuit Madame, j’ai fait mes réflexions et me suis rappelé combien de fois Votre Dilection m’avait conseillé de me raccommoder avec cette dame elle-même. J’ai donc prié le duc de Noailles de lui dire de ma part que j’étais si touchée de l’amitié qu’elle m’avait montrée dans mon malheur que je la priais de venir chez moi, puisque je ne pouvais pas sortir. Ce qu’elle a fait hier à six heures. » Mme de Ventadour assistait à l’entrevue.

D’après Saint-Simon, qui dit l’avoir su « d’original, » Mme de Maintenon se présenta en personne officielle, chargée par le Roi de communiquera une sujette en disgrâce les « vraies causes » du déplaisir royal : « Outre la brouillerie du Roi et de Monsieur dont Madame avait sa part commune, il y en avait une autre plus sérieuse d’elle au Roi, qui avait vu de ses lettres en Allemagne, où elle parlait fort mal de lui. Il en fut d’autant plus piqué que Mme de Maintenon y était mêlée, et qu’on y voyait en

  1. Éd. in-8o, VIII, 346.
  2. Du 12 juin 1701, à l’Électrice Sophie.