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vouloir effacer de toutes les mémoires les dix années de bonheur qu’elle avait eues en France : « (2 mai 1697.) Je plains Votre Dilection de ne pas avoir de meilleur passe-temps que de lire mes vieilles lettres. Tant que feu papa a vécu, vous les trouverez pleines de contentement de Monsieur[1], car je ne voulais pas que Sa Grâce pût apprendre ce qu’il en était au vrai ici ; je ne l’ai jamais dit dans aucune lettre. Quand Votre Dilection est venue ici, je ne lui ai rien caché, mais j’ai tout caché à Sa Grâce… ça l’aurait tourmentée et attristée. » Il est fâcheux de ne pas posséder la réponse de l’Électrice Sophie, qui avait bonne tête et le parler franc.

Quelques événemens de cette période de détresse morale sont à noter. Au mois de juillet 1693, Madame eut la petite vérole. Elle fut à la mort, mais garda sa présence d’esprit, et se défendit contre les médecins avec son énergie accoutumée : « Cette princesse, rapporte Sourches le 7 juillet, suivant son génie ordinaire, se traitait seulement avec des poudres sudorifiques, et mangeait presque de la même manière que si elle n’avait pas été malade. » Le 9, Dangeau écrit à son tour : « Madame a toujours bu à la glace ; ses fenêtres sont ouvertes ; elle change de linge quatre fois le jour, ne veut point être saignée, ne veut point avoir d’autre médecin que le sien. » À peine hors d’affaire, elle devient énorme, et ses lettres ne tarissent plus sur la laideur prodigieuse de toute sa personne : « Ma graisse s’est mal placée, de sorte qu’elle me va mal. J’ai, sauf votre respect, un derrière effroyable, un ventre, des hanches et des épaules énormes, le cou et la poitrine très plats ; pour dire la vérité, je suis épouvantable, mais j’ai le bonheur de ne pas m’en soucier[2]. » Voilà pour la tournure, et voici pour la figure : « J’ai toujours été laide et le suis devenue encore plus depuis la petite vérole. Ma taille est monstrueuse[3]d’épaisseur ; je suis carrée comme un dé à jouer. Ma peau est d’un rouge tacheté de jaune ; je commence à grisonner, et mes cheveux sont poivre et sel ; mon front et mes yeux sont tout ridés, mon nez toujours aussi de travers et, par-dessus Je marché, tout brodé par la petite vérole, ainsi que mes deux joues plates. J’ai un double menton, les dents

  1. Les mots en italiques sont en français dans l’original.
  2. Lettre du 10 octobre 1699 à l’électrice Sophie.
  3. Les mots en italiques sont en français dans l’original.