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rattraper ou en avoir l’air. Il y a quelques mois, M. le baron d’Ærenthal avait imaginé l’affaire du chemin de fer de Mitrovitza : il en est résulté à Saint-Pétersbourg l’émotion que nous avons rappelée, et tout de suite le gouvernement russe a pris en main l’affaire du chemin de fer transversal entre le Danube et l’Adriatique. Chose curieuse, M. le baron d’Ærenthal avait averti M. Isvolski de ses intentions ; mais celui-ci, ayant fait des réserves, avait cru que le projet autrichien n’aurait pas de suites. Chose plus curieuse encore, dans la nouvelle affaire, celle de l’annexion de l’Herzégovine et de la Bosnie, M. le baron d’Ærenthal avait encore averti M. Isvolski ; mais celui-ci n’avait pas compris que les choses dussent marcher aussi vite, et il n’en avait, dit-on, parlé à personne : la rapidité de l’événement l’a ensuite surpris. La Bruyère, en faisant le portrait du « ministre » ou du « plénipotentiaire, » — « en d’autres termes, du diplomate, — dit que, dans certains cas, il a intérêt à « cacher une vérité en l’annonçant, parce qu’il lui importe qu’il l’ait dite et qu’elle ne soit pas crue. » Il semble que M. le baron d’Ærenthal abuse un peu de ce procédé à l’égard de M. Isvolski, et que celui-ci mette une étonnante complaisance à en assurer toujours le succès. M. Isvolski veut aujourd’hui prendre brillamment sa revanche en donnant à la Russie une grande satisfaction morale. Soit : mais comment ne pas constater que la clôture des Détroits était favorable à la Turquie et que leur liberté apportera un amoindrissement à sa sécurité ? Si la Porte se trouve obligée, — et un peu plus tôt ou un peu plus tard elle le sera, — de céder la Crète à la Grèce, c’est encore elle qui fournira une compensation. Qui sait si l’Italie ne lui en demandera pas à son tour ? A cela près, que de compensations lui seront dues à elle-même ! Mais où les prendra-t-on pour les lui donner ? Nous ne nous chargerons pas de le dire. A ce point de vue, l’Autriche s’est exécutée assez galamment ; elle a évacué Novibazar et l’a restitué à la pleine souveraineté de la Porte. Est-elle tout à fait quitte envers celle-ci, c’est chose à voir ? mais enfin, après avoir donné le mauvais exemple, elle a donné le bon. Seulement, ce bon exemple sera difficile à suivre, car tout le monde n’a pas un sandjak à évacuer. Disons-le en passant : la Porte a sans doute apprécié cette restitution plus vivement qu’elle ne l’a manifesté. Combien de fois n’a-t-on pas répété que jamais, jamais, la chrétienté ne rendrait à l’Islam un territoire qu’elle lui avait pris ! C’était presque devenu un principe du droit public. Pour la première fois, une exception a été faite à ce prétendu principe. Le sandjak de Novibazar est un petit territoire, mais