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celle-là : a-t-on une armée ? L’Europe a donné aux Serbes des conseils de modération et de prudence : ils feront bien de les suivre, et nous sommes convaincus que les Monténégrins les suivront, car le prince Nicolas est prudent. Mais lui aussi déclare supprimé l’article du traité de Berlin qui concerne le Monténégro, et qui met le protectorat autrichien sur le port d’Antivari, après l’avoir neutralisé ainsi que la région voisine. Les Serbes, les Monténégrins, est-ce tout ? Non, il y a encore les Grecs. L’île de Crète se soulève et demande son annexion au royaume hellénique. Que fera celui-ci ? Depuis quelque temps, un rapprochement presque intime s’est produit entre la Grèce et la Porte : on pourrait donc croire que la première hésitera à se mettre ostensiblement parmi les détrousseurs de la seconde. La Crète ne saurait lui échapper, elle n’a qu’à attendre : mais la tentation est forte pour elle. Si elle y résiste, ce sera sans doute à cause de la difficulté matérielle de l’opération. Il y a encore à La Canée des troupes européennes qui y maintiennent le statu quo. De plus, la Crète est une île, et la Grèce n’est pas maîtresse de la mer. Comprend-on maintenant pourquoi, malgré le désir commun de la Crète et de la Grèce, les puissances ont toujours ajourné la fusion de l’une avec l’autre ? Elles savaient fort bien que, si la Crète était abandonnée à la Grèce, tous les autres pays balkaniques demanderaient des compensations : on aurait vu se déchaîner quelques années plus tôt le mouvement d’aujourd’hui. Mais il n’y a plus à craindre qu’il se déchaîne, c’est fait, et il sera sans doute impossible de s’opposer longtemps encore à l’attribution de la Crète à la Grèce.

Seulement, il faut pour cela quelques formes, précisément celles qui ont manqué jusqu’ici aux résolutions unilatérales prises et exécutées par l’Autriche et la Bulgarie. Ce serait un triste début pour le XXe siècle que la violation pure et simple, par quelques puissances grandes ou petites, d’un des plus importans traités auxquels, au cours du XIXe, l’Europe a mis solennellement sa signature : il faudrait en tirer la conclusion que la force règne seule et que le droit a cessé d’exister. Aussi quelques puissances ont-elles pensé tout de suite que le consentement de toutes pouvait seul modifier ou détruire aujourd’hui ce qu’il avait établi autrefois, et qu’une conférence était indispensable pour corriger l’œuvre du Congrès de Berlin. De nombreux précédens se présentaient ; on en a cité un qui, effectivement, est topique et dispense de tous les autres : celui de la conférence de Londres, réunie en 1871 en pleine guerre franco-allemande, à la suite de la dénonciation par la Russie de l’article du traité de Paris