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Il veut, disions-nous plus haut avec M. de la Laurencie, il veut établir l’ordre de la science, de la physique ou de la géométrie, ou, plus généralement, des mathématiques, dans la musique entière, « et particulièrement dans l’harmonie. » L’harmonie est pour lui le commencement et la fin ; elle forme tout l’objet de son entendement et ce qu’on pourrait appeler la catégorie de son idéal. Il proclame tout de suite et très haut qu’elle règne sur la musique entière, qu’elle la constitue et l’absorbe, qu’elle en est la condition, bien plus, l’origine et la cause. Il lui donne la première place ; il lui rend les premiers hommages et les premiers honneurs. « Au commencement était le rythme, » disait Hans de Bülow. Selon Rameau, c’est l’harmonie qui fut au commencement. Un accord, et surtout un accord consonant, un choix de sons, unis par une analogie particulière, tel est pour lui l’élément primitif, essentiel, de la science musicale. On lit dans le Traité de l’Harmonie : « Il semble d’abord que l’harmonie provienne de la mélodie, en ce que la mélodie que chaque voix produit devient harmonie par leur union ; mais il a fallu déterminer auparavant une route à chacune de ces voix, pour qu’elles puissent s’accorder ensemble. Or, quelque ordre de mélodie que l’on observe dans chaque partie en particulier, elles formeront difficilement ensemble une bonne harmonie, pour ne pas dire que cela est impossible, si cet ordre ne leur est donné par les règles de l’harmonie… C’est donc l’harmonie qui nous guide, et non la mélodie. »

La prééminence de l’harmonie sur la mélodie, voilà le premier principe, et le dernier, de la doctrine de Rameau, son point de départ et son point d’arrivée, ou de retour. Tout le reste s’y appuie, ou s’y ramène, ou s’en déduit ; tout, jusqu’aux erreurs. Il ne s’agit, bien entendu, que d’erreurs esthétiques. Le mépris, ou l’inintelligence du plain-chant en est la principale. Mais, étant donné la théorie de Rameau, sans parler de son temps, elle était naturelle, ou plutôt nécessaire. La monodie du moyen âge ne parut et ne pouvait paraître à Rameau que le produit grossier d’une époque barbare : « Ces anciens, lisons-nous dans le Traité de l’harmonie, trop esclaves de leurs premières découvertes, composèrent tous ces chants d’une mélodie… et finirent par où ils devaient commencer, c’est-à-dire qu’ils établirent les règles de l’harmonie sur cette mélodie, au lieu de commencer par celle qui se présenterait la première, qui est l’harmonie. »

Pour exposer ou seulement poser ici la question difficile, — et peut-être plus vaine encore, — de la priorité de la mélodie ou de l’harmonie, ou cet autre problème de la supériorité de l’une sur l’autre,