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règnent dans le récitatif du grand Lully, je tâche de l’imiter, non en copiste servile, mais en prenant, comme lui, la belle et simple nature pour modèle. » Les critiques même les plus favorables, — et les plus patriotes, — en demeurent d’accord. M. Laloy reconnaît que « Rameau n’est jamais arrivé pour le chant à une entière indépendance. Il s’inspire toujours soit de Lully, soit des Italiens. » Plus loin, sous réserve d’une différence et d’un progrès que nous aurons à signaler : « Son récitatif est celui de Lully. » Autre part encore : « Les airs ressemblent souvent au récitatif, comme c’est la règle chez Lully. Cependant la mélodie y est plus souple, moins assujettie à répondre par une note à chaque syllabe. On sent l’influence italienne, même en de très modestes phrases… Ailleurs le style italien règne sans rival. » Ainsi le génie le plus original peut avoir quelque partie empruntée, ou reçue, et quand elle lui vient de l’étranger, cela doit nous rappeler seulement que, dans l’histoire artistique ou littéraire, la question de race est complexe, et délicat le partage des nationalités.

Mais, lorsqu’il s’agit de Rameau, une autre question, bien plus difficile encore, domine le sujet : c’est le problème des rapports ou des proportions, chez le musicien et dans la musique même, entre la science et l’art, entre la raison et « le goût, » comme on disait autrefois, ou, comme nous dirions maintenant, le génie. Et sans doute, chez le grand artiste véritable, complet, il faut que les deux termes soient réunis. Il y a pourtant la manière, en quelque sorte, de les poser l’un et l’autre. Et la manière de Rameau, je crois, fut unique.

Le Traité de l’harmonie réduite à ses principes naturels, le premier et le plus important des ouvrages théoriques de Rameau, celui dont les autres ne furent que les conséquences ou les corollaires, ce fameux Traité, qui parut en 1722, commence, ou peu s’en faut, ainsi : « La musique est une science, qui doit avoir des règles certaines. » Science physico-mathématique, elle a pour objet le son et les rapports entre les sons.

Certaine, elle-même elle l’est tout comme les autres sciences, d’une certitude absolue, géométrique, et c’est un instinct du même ordre, je veux dire mathématique aussi, c’est le désir du vrai, l’ardeur de connaître, qui poussa Rameau, « dès sa plus tendre jeunesse, » à devenir musicien. La théorie de la musique le préoccupa d’abord, et peut-être toujours. « . Il ne cessa de s’y appliquer avec passion et de lui attribuer une importance prépondérante. Chabanon raconte qu’il regrettait le temps par lui donné à la composition, car il considérait ce temps comme perdu pour la recherche des principes de son art.