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les épaves du commerce, et restituent au commerce leurs meilleurs sujets, recrutant leurs collaborateurs par une sorte de sélection à rebours.


Ainsi instruit de leur organisation et de leurs mœurs, on est moins surpris que les coopératives parisiennes n’aient pu conquérir même la situation modeste des maisons de second ordre. Travaillées par des préoccupations politiques étrangères à leur objet, et cependant infidèles à leur programme socialiste, privées du concours précieux qui résulte de la fusion des élémens sociaux, affaiblies par le régime de démocratie pure qu’elles se sont imposé, et qui conviendrait tout au plus à une collectivité initiée depuis des siècles aux pratiques de la liberté, servies enfin par un personnel aigri qu’elles ne savent point diriger, mais qu’elles troublent continuellement dans sa besogne, les sociétés coopératives parisiennes accusent dans leur administration un désordre dont j’ai peut-être affaibli le tableau. Délibérations des conseils, surveillance des commissaires et des délégués, vigilance des commissions d’enquête, sanction souveraine des assemblées plénières, tout cet étalage d’activités multiples est bien près d’être purement illusoire : la maladie du contrôle a abouti au néant du contrôle.

Très atténués dans un petit groupement originel, ces élémens de perturbation produisent tout leur effet dans la Société agrandie. Son expansion naturelle, qui devait s’accroître par son effet même, est justement limitée par l’impuissance où elle se trouve de diriger des services nombreux, et de maîtriser l’indiscipline des foules. Ce qu’une coopérative supporte le moins bien, c’est le succès.

L’exemple le plus éclatant est celui de la Moissonneuse, fondée en 1875 par 19 ouvriers du XIe arrondissement. Elle était parvenue à grouper 16 000 membres ; elle avait créé 22 succursales ; et elle s’est effondrée misérablement après vingt-huit ans d’existence. De telles ruines n’ont pas été éloquentes. Parmi les sociétés qui paraissent les plus solides, il n’en est pas une qui ne porte en elle les mêmes germes de dissolution qui ont anéanti la Moissonneuse ; et il n’en est pas une qui s’en doute.

A la vérité, il y a dans toute coopérative ouvrière, une élite qui a le sentiment de l’ordre, et reconnaît la nécessité de la discipline. Elle voit plus large et plus loin ; elle empêche la