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Après la servitude politique et religieuse, la servitude économique. Nous connaissons les récriminations, quelquefois justifiées, de la classe ouvrière contre les économats patronaux obligatoires, et auxquelles divers incidens des grèves de l’Est ont donné récemment une recrudescence d’actualité. Or, tandis que les coopératives socialistes ne parviennent pas à obtenir de leurs membres une moyenne d’achats supérieure à 268 francs par an, plusieurs d’entre elles imposent à leurs employés une consommation minima de 1 000 francs, s’ils sont mariés, de 600 francs, s’ils sont célibataires. Ces derniers ne sont même pas libres de prendre leurs repas au restaurant !

Le salaire des « répartiteurs » est presque partout de 45 à 50 francs par semaine. Mais, sauf à la Bellevilloise, où les employés des deux sexes sont uniformément payés à raison de 0 fr. 70 l’heure, celui des femmes est très inférieur à ces chiffres ; et il faut encore relever là une contradiction flagrante avec les principes du socialisme moderne. « Nous avons remplacé, disait un jour le rapporteur de l’Union des Travailleurs du XIIIe arrondissement, le répartiteur par une femme, nous coûtant moins cher. » Personne n’a sourcillé[1].

D’autre part, la capacité professionnelle est systématiquement découragée. Nouveaux ou anciens, actifs ou paresseux, tous les employés ont les mêmes appointemens. On alloue aux chefs de rayon un maigre supplément de 10 francs par semaine ; et le traitement du premier comptable ne dépasse guère 3 000 ou 3 500 francs. Il n’est pas difficile d’apercevoir les motifs secrets qui ont inspiré une méthode si contraire à la prospérité des sociétés coopératives. Le salaire des « camarades employés » est visiblement établi d’après celui des « camarades sociétaires. » Jamais une administration ouvrière ne voudra donner 6 000 francs à un comptable éprouvé, à un chef de rayon habile ; ce qui ne l’empêche pas de rêver la disparition future des grands magasins, dont les employés supérieurs sont rétribués à l’égal des plus hauts fonctionnaires de l’État.

Les mêmes réflexions s’imposent à l’égard du problème des retraites ouvrières : jamais les coopératives socialistes ne se sont préoccupées de le résoudre en faveur de leurs employés. C’est encore et toujours le même état d’esprit : « Est-ce que mon

  1. Compte rendu de l’Assemblée du 24 décembre 1905, p. 8.