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administrée, mieux outillée, mieux approvisionnée que les coopératives ouvrières, elle est pourtant moins bien adaptée aux besoins du milieu ; l’influence sociale qu’elle exerce sur ses fonctionnaires est très inférieure à celle que l’Utilité sociale détient sur les ouvriers du cuir. La clientèle aisée est une clientèle qui aime ses aises, et, à la moindre déconvenue, sans se plaindre, elle s’éclipse.

De toutes les coopératives ouvrières, la Bellevilloise est à la fois la plus puissante par le chiffre des affaires et le nombre de ses membres, la plus solide au point de vue financier, et la plus curieuse pour l’observateur social. Elle a plus de 6 000 adhérens, et fait plus de 3 millions d’affaires, près de 500 francs par membre ; et elle a connu, dans son existence de trente années, une prospérité plus grande encore. Mais, il y a dix ans, elle subit ce qu’on pourrait appeler la crise du succès. Elle avait fini par assumer toutes les charges des grands établissemens coopératifs, épicerie, boulangerie, boucherie, charcuterie ; mais les administrateurs pliaient sous la tâche alourdie ; le désordre de la comptabilité, les achats défectueux, le « coulage » amenèrent une décadence rapide. L’énergie de leurs successeurs, ardens et avisés, sauva la Société de la ruine. La comptabilité fut réorganisée, on en recruta le personnel par le concours, et l’on combina des dispositions très sages pour écarter les embarras de l’avenir. La situation se releva ; la confiance revint.

Alors, on éleva de nouvelles constructions au siège social de la rue Boyer ; des succursales furent créées sur divers points de Belleville et de Ménilmontant. C’est dans de larges rues qu’on vit s’ouvrir des magasins d’épicerie et de boucherie, avec vitrines claires, étalages sur le trottoir, faisant très bonne figure au milieu des maisons de commerce voisines.

L’immeuble social de la rue Boyer est simple, mais bien approprié à sa destination. A voir le mur d’enceinte, les bâtimens retirés que domine une haute cheminée cylindrique, on dirait une petite manufacture. Une porte cochère, et, un peu plus loin, le petit magasin de vente de la boulangerie, tranchent seuls sur l’uniformité de la façade murale. Une assez grande cour sablée, lumineuse et gaie, entourée de « bosquets et charmilles, » comme dit le prospectus, précède les magasins ; on y donne en été des « apéritifs concerts ». Là campèrent, durant la récente grève de l’alimentation, 500 familles de grévistes, faisant