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ce rocher !… Qu’à ton commandement jaillisse un feu. Qu’il roule comme une mer ses flammes vivantes autour du rocher. Que sa langue lèche, que sa flamme dévore le lâche audacieux qui tenterait d’escalader la roche flamboyante !


À ce cri de la Walkure, Wotan a reconnu sa fille. Il est vaincu. La vierge aimante l’emporte sur le Dieu inflexible, la puissance de l’Amour sur la loi rigide. Résolu à l’inévitable séparation, mais ébranlé jusqu’au fond de son être, le dieu du Walhalla ouvre ses bras à Brunhilde. Elle s’y laisse tomber ; il l’y presse pour la dernière fois. Après un long et douloureux regard dans ces yeux aimés qu’il ne reverra plus, il les scelle de ses lèvres et plonge sa fille dans un sommeil magnétique, profond comme la mort. Endormie par le baiser d’un Dieu, elle ne se réveillera que sous le baiser d’un héros. Alors elle ne sera plus déesse, mais femme. Ceci est peut-être le moment le plus sublime de ce drame grandiose de la Tétralogie, celui où le divin et l’humain se fondent d’une puissante et chaste étreinte. La symphonie qui l’accompagne en exprime l’ivresse de sa magie enveloppante. Le motif enchanteur du sommeil se répand en larges ondes sur le feu vivace et crépitant. Il le dompte sous la caresse de son rythme impérieux et doux. A la fin, éclate une fanfare héroïque, et comme un géant se dresse, sur la mer de flammèches éthérées, le motif triomphal du héros futur, de l’éveilleur de la Walkure.

Un tel tableau, accompagné d’une telle musique, n’a pas besoin de commentaire. Mais il importe ici de préciser le sens ésotérique de l’antique légende Scandinave si puissamment élargie par la vision vibrante de Wagner. Qu’est-ce que ce feu dont Wotan entoure la vierge guerrière comme d’un rempart pour la défendre ? Il a plusieurs sens. Le feu, personnifié dans le drame par le dieu Loge, représente le feu principe, qui est un des élémens essentiels de la création, feu éthéré et subtil, dont le feu physique n’est que la résultante sur le plan matériel. Ce feu qui entoure la vierge Brunhilde, la déesse devenue femme, ou, pour parler plus clairement, l’âme qui s’incarne dans le corps physique, devient ici l’aura humaine, le rayonnement du corps astral qu’aperçoivent les voyans, avec ses colorations multiples et changeantes qui correspondent au jeu des passions et des sentimens. Cette aura agit magnétiquement même sur ceux qui ne la voient pas. Elle est le principe des antipathies et des